Le codirecteur du CECLR se dit très inquiet. “Les questions d’appartenance, de culture et de civilisation sont en train de piéger le combat antiraciste”.A la veille de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, le 21 mars, Edouard Delruelle, philosophe (ULg) et directeur-adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, évoque l’évolution de la lutte antiraciste.
En vingt ans, le racisme a-t-il changé de visage ?
Je crois que oui. Les formes de racisme traditionnel n’ont pas disparu mais de nouvelles formes sont aujourd’hui dominantes. En un mot, je dirais que le racisme s’est culturalisé. Il n’est aujourd’hui presque plus une affaire de couleur de peau, de catégorisation physique ou raciale des gens, mais il s’indexe sur l’appartenance à des identités, à des cultures ou à des civilisations - je mets des guillemets à tous ces mots. La question du racisme est aujourd’hui surdéterminée par ces questions-là, ce qui met l’action antiraciste en porte-à-faux. On demande aux acteurs de l’antiracisme de se positionner sur des questions d’interculturalité.
Comme le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, traversé depuis des mois par des conflits internes…
Indépendamment des problèmes de personnes, le problème de fond du Mrax, c’est son orientation multiculturaliste. A un moment donné, il a pris l’option de défendre les revendications faites au nom de la culture et de considérer comme du racisme toute forme de refus, d’agressivité ou même de critique à l’égard des cultures dites minoritaires. Et donc d’installer l’opposition majorité/minorité culturelle comme l’axe central de la question du racisme et donc de l’antiracisme. Pour moi, c’est une erreur.
Autre événement récent : l’affaire Chichah, du nom de cet assistant de l’ULB qui a organisé le chahut lors d’une conférence de Caroline Fourest sur l’extrême droite au point de l’empêcher de se dérouler.
Elle est aussi assez symptomatique. Je dénonce le caractère liberticide de l’action de M. Chichah et de ses amis. Ce n’était pas une blague de potaches : cela a été préparé, il y a eu des appels sur Internet En utilisant le terme de "lapidation", comme il l’a fait à propos de Mme Fourest, même si c’est ironique, on flirte avec l’incitation à la haine. Nous avons ouvert un dossier au Centre. Mais ici, la lutte antiraciste était revendiquée par tous les acteurs. En effet, les protagonistes en question, soit les militants universalistes classiques - Guy Haarscher, Caroline Fourest, Hervé Hasquin - d’un côté et les militants postcolonialistes - M. Chichah et ses amis - de l’autre, se réclament des mêmes valeurs : l’égalité, la non-discrimination, la liberté d’expression Mais avec des conceptions totalement opposées et des points de vue complètement inversés. Avant, les racistes étaient à l’opposé de la démocratie : on les attaquait en tant que tels. La stratégie qu’on devait avoir vis-à-vis d’eux était celle du cordon sanitaire. A partir du moment où les gens se réclament des mêmes valeurs et prétendent avoir les mêmes combats, ça devient beaucoup plus compliqué.
Dans quelle mesure ?
Pour les uns, le racisme, c’est une société d’accueil, majoritaire, qui perpétue des rapports d’exploitation et de domination de type colonialiste sur les minorités culturelles. Ils politisent et culturalisent immédiatement la question. De l’autre côté, on explique que le problème du racisme aujourd’hui se trouve dans un relativisme culturel débridé, dans les formes de communautarisme. On entre en fait dans la logique d’un choc de civilisations.
Aujourd’hui, quand on parle du racisme en Belgique, on se focalise sur l’islam.
Ou sur l’antisémitisme où on fait très vite référence à des enjeux géopolitiques, c’est-à-dire de nouveau à des enjeux de type civilisationnels. Et on perd de vue que la base du racisme, ce sont des actes portés contre des individus. D’où le malentendu qui peut exister sur une institution comme le Centre : on nous demande de plus en plus de prendre position dans les conflits entre communautés ou de défendre des demandes de reconnaissance des communautés arménienne, juive, musulmane, avec une frustration de leur part car le Centre n’a pas vocation à entrer dans ce débat.
Cette culturalisation vous inquiète ?
Je suis depuis plusieurs années tellement inquiet que j’ai dénoncé cette orientation dans une note de minorité en conclusion des Assises sur l’interculturalité. Les solutions proposées étaient de dire - je résume - si on accorde des droits aux minorités culturelles, il y aura moins de racisme. C’est une illusion. Le principal problème de la société belge aujourd’hui, ce n’est pas l’opposition majorité/minorité culturelle : je persiste à penser que les questions sociales restent déterminantes. Les problèmes dits culturels sont le révélateur d’autre chose.
Source : lalibre.be
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