Cher Patrice,
Voilà bientôt une semaine que tu
as été kidnappé dans des conditions grotesques et est détenu par l’appareil
répressif et oppressif de la plus vieille tyrannie d’Afrique.
Un régime qui tue
en toute impunité, qui tire sur sa population, qui affame son peuple, qui met
en prison les syndicalistes, torture les opposants politiques, pille les
richesses de l’Etat, réprime le peuple. Dans ces régimes, le droit est au
service de la classe dominante, de l’oppresseur, de l’élite, pour perpétuer sa
domination. Le peuple n’a pas de droit. Ceci est le point de départ de toute
analyse du système politique au Cameroun.
Quand je pense tous les jours,
toutes les nuits à toi, à ta douleur, à ta souffrance, j’ai mal de mon
impuissance de te sortir par tous les moyens des bras de la tyrannie. Mais, je
pense à un homme, un guide philosophique. Je pense à l’Italien Antonio Gramsci.
Celui là qui s’opposait au Fascisme de Benito Mussolini. Vois-tu, en 1926, le
procureur fasciste qui doit le condamner affirme: “Nous devons empêcher ce
cerveau de fonctionner pendant 20 ans” . Patrice, voilà réellement l’objectif
de ton kidnapping. T’empêcher de parler, de dénoncer, de réfléchir. Car toute
tyrannie est hostile aux idées et aux intellectuels. Écrivain, tu es encore
plus dangereux. Comme Mongo Beti, Wole Soyinka, Soljetsine, j’en passe...
Le Cameroun a véritablement
besoin d’intellectuels engagés résolument au service du peuple, des opprimés.
L’élite intellectuelle produite depuis 1960 au Cameroun s’est, à l’exception de
quelques illustres à l’instar de Mongo Beti, Jean Marc Éla et même Achille
Mbembe, mise au service de ces préfets coloniaux qui ont simplement perpétué la
violence et la domination coloniale. Samir Amin l’avait prédit. Pour libérer le
peuple, Gramsci proposait des intellectuels organiques qui travailleraient pour
l’émancipation des masses populaires. Au Cameroun, tu appartiens à cette
catégorie. Les intellectuels libérateurs. Ceux là qui sacrifient leur temps,
leur énergie, leur argent, leur famille, leurs enfants, pour construire le
changement. Peut-on raisonnablement ne pas le reconnaître? Non. Je te suis
personnellement, je reconnais ta douleur, ta souffrance. Peut-être pas la
tienne car tu sais très bien où tu vas, mais celle de ton épouse. Je ne l’ai
pas eue au téléphone, mais elle aura été un acteur clé pour alerter l’opinion
internationale sur le comportement de cette dictature à l’agonie.
Certains s’interrogent sur les
raisons de mon soutien. Ils n’ont pas tort. Ils disent que tu les as insultés.
Je leur durais comme on dit chez toi à Madagascar: NGANANG n’insulte pas qui?
Tu m’as laminé lorsque j’ai apporté mon soutien à OWONA NGUINI, qui aujourd’hui
me qualifie d’ethno-fasciste (il oublie que son voleur de père est l’un des
principaux théoriciens de l'ethnicisme au Cameroun). Tu as attaqué ma formation
lorsque je m’opposais à tes invectives contre Achille Mbembe, dont les travaux
guident mon action au quotidien. Face à Haman Mana, tu m’as qualifié de petit
étudiant qui a faim et qui attendait 100.000 FCFA. Mais Patrice, cela ne retire
en rien tout le respect, l’estime et la fraternité que j’éprouve pour travail
que tu abats pour ce pays.
Ils dénoncent la violence de tes
propos, mais ferment les yeux sur la violence de l’oppresseur qui les tue en
silence lorsqu’il ne le fait pas brutalement. Ceux qui les oppriment sont
arrogants, méprisants, orgueilleux. Ils se taisent et retournent leurs armes
contre ceux qui se battent avec eux et pour eux. C’est le syndrome de
l’opprimé. Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’en contexte de dictature, seule la
violence affranchit. Frantz Fanon soulignait justement que seule la violence de
l’opprimé est libératrice.
Malgré cet Etat voyou qui régente
nos vies, tu construits des écoles, des ponts, crée des lieux de pensée. En
réalité, tu structures la dissidence. Le coefficient d'indocilité, cher à
Mbembe, et nécessaire pour le changement.
Ce travail est au-dessus de tous
les propos que tu as pu tenir à mon égard. Car, c’est un travail qui porte sur
les intérêts de la communauté, du peuple. Or, le peuple est au-dessus de nous.
Les camerounais depuis 1955 font passer leurs émotions et intérêts personnels
avant celui du groupe, des masses, de la communauté. Voilà l’un des aspects qui
plombe radicalement le changement dans ce pays.
Patrice, tu es pour moi un
intellectuel du changement. Un individu qui a décidé de sacrifier son âme, sa
chair au service de la libération. Tu incarnes une race rare sur ce continent
dont la misère structure le rapport aux valeurs et l’argent conditionne la reconnaissance
sociale.
Je me battrais à tes côtés parce
que je suis convaincu que tu n’es rien d’autre qu’un autre opprimé de la plus
vieille dictature d’Afrique. Combien d’entre nous voulons définitivement mettre
un terme à ce régime? Combien sommes-nous à demander le départ de Paul Biya?
Nous n’utilisons pas l’alphabet de la même manière, mais c’est toujours
l’alphabet que nous utilisons pour créer et construire le terrain de la colère.
Ce n’est que l’interprétation de cet alphabet qui diverge. Or les oppresseurs
interprètent l’alphabet dans leurs intérêts. Ils comprennent NGANANG, mais
savent qu’il ne pense pas l’alphabet comme eux. C’est pourquoi ils veulent te
tuer pour t’empêcher de penser l’alphabet différemment.
JE SUIS PATRICE NGANANG.
Boris Bertolt, Journaliste,
Criminologue.
le 13 décembre 2017.
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