L'impact bénéfique des investissements chinois en Afrique: La présence croissante de la Chine sur le continent alimente
toutes sortes de débats, tout comme les implications géopolitiques des relations
des entreprises chinoises et occidentales en Afrique.
Le cas du projet pétrolier Rônier de la China National
Petroleum Company (CNPC) est particulièrement intéressant.
Il met en scène à la fois la première compagnie pétrolière
chinoise —une entreprise publique— et un Etat, le Tchad, appartenant au groupe
des Pays les moins avancés (PMA), dont l’histoire politique et pétrolière
mouvementée oscille entre «malédiction des ressources naturelles» et tentatives
d’y échapper.
Ce cas concret, qui permet de dépasser les postures
idéologiques, mêle ainsi un cocktail pétrole, Chine et Afrique, que nous avons
choisi d’aborder par la régulation environnementale, pour des raisons pratiques
—car ce thème soulève moins de réticences que celui de la gouvernance—, tout en
espérant qu’il fournirait des enseignements plus larges chemin faisant.
Un impact environnemental «normal»
Premier enseignement, le projet Rônier n’a pas eu d’impacts
environnementaux extraordinaires. Cela tient pour partie à la taille et aux
caractéristiques de ce projet.
Modeste dans sa première phase (2009-2011), il consiste à
développer 80 puits de pétrole reliés par un oléoduc de 311km à une petite
raffinerie située près de la capitale tchadienne, N’Djaména.
Par ailleurs, les milieux traversés, des savanes
soudano-sahéliennes peu peuplées, présentent une vulnérabilité limitée, en
dehors d’une traversée par l’oléoduc du fleuve Chari, principal tributaire du
lac Tchad.
Mais les dispositifs et les pratiques de régulation
environnementale de la CNPC ont aussi leur part dans ses débuts sans histoire.
Ils reflètent une dizaine d’années d’apprentissage accélérée
de la Chine en matière de gestion environnementale, en réaction aux désastres
de la croissance incontrôlée, mais aussi quelques limites.
Maillage serré de règles de différents types (nationales,
provinciales; sectorielles, d’entreprises); origine hybride de nombreux
référentiels, associant emprunts aux pratiques internationales et chinoises;
progrès réels en dépit de difficultés persistantes de mise en œuvre.
Le rythme de réalisation des deux impacts d’étude
environnementale (EIE) du projet Rônier est révélateur.
L’EIE de la raffinerie, financée avec une implication de
l’Eximbank (la banque d’Import-Export chinoise, propriété de l’Etat), qui exige
depuis 2007 de telles études, a été menée plus rapidement que celle des champs
de pétrole et de l’oléoduc.
Celle-ci, livrée après la fin des travaux, a de fait
exploité des brèches des législations tchadienne (décrets d’application de la
loi sur les EIE pas votés) et chinoise (loi sur les études d’impact
environnemental non-applicable à l’étranger).
La CNPC se distingue surtout par la modestie de ses
dispositifs de communication et d’information, propice au soupçon.
Enfin, l’influence du milieu d’accueil dans la gestion
environnementale ne doit pas être sous-estimée.
Le projet pétrolier de Doba (dans la onzième ville du Tchad,
18.000 habitants), mis en service en 2003 par un consortium dirigé par le
groupe américain Exxon, avec l’appui de la Banque mondiale, a permis au Tchad
des progrès et apprentissages multiformes, en dépit des problèmes rencontrés.
Législation environnementale et pétrolière étoffée;
formation de ressources humaines; capacités de la société civile renforcées. La
circulation des expériences permises par celles de quelques cadres qui passent
de structures gouvernementales appuyées par la Banque mondiale au secteur
privé, ou d’Exxon à la CNPC, n’est pas sans effets.
Ce n’est pas un hasard si les dispositifs de compensation et
de réinstallation des populations riveraines des infrastructures mis en œuvre
par la CNPC ressemblent à s’y méprendre à ceux d’Exxon, répondant ainsi à des
standards internationaux reconnus.
Normes environnementales et «coopétition» sino-occidentale
Ces convergences pragmatiques pourraient bien se révéler
utiles pour répondre à de nouveaux enjeux.
En effet, une deuxième phase de la stratégie de la CNPC au
Tchad vise, plus classiquement, l’exportation de l’excédent entre le pétrole
traité par la raffinerie (au maximum 20.000 barils par jour) et une production
appelée à augmenter avec le forage de nouveaux puits (rapidement 60.000 b/j).
La solution la plus simple consisterait à utiliser l’oléoduc
exploité par le consortium de Doba à moitié de sa capacité (225.000 b/j) depuis
quelques années. Un accord semble avoir été conclu en ce sens, début 2012 entre
Exxon et la CNPC.
Or, d’après les termes de l’accord de prêt conclu en 2001
avec la Banque mondiale, l’utilisation de l’oléoduc entre Doba, au Tchad, et
Kribi, au Cameroun, est conditionnée par le respect des standards
environnementaux du groupe de la Banque mondiale.
Pour connecter ses nouveaux champs de pétrole à l’oléoduc,
la CNPC devra rendre compatibles ses standards avec ceux d’Exxon. Mais comment
les deux acteurs (chinois et américain) interpréteront-ils cet impératif?
La CNPC utilisera-t-elle cette opportunité pour améliorer
ses pratiques et sa réputation en matière de gestion environnementale, ou bien
se contentera-t-on d’une convergence a minima, traduisant le primat des mobiles
économiques (rentabilisation de l’infrastructure pour Exxon, besoin d’exporter
pour la CNPC)?
La connexion des deux oléoducs en dira long tant sur les
relations entre les deux acteurs que sur la place de l’enjeu environnemental
dans leurs stratégies respectives.
Quelle contribution au développement national?
Ces questions nous ramènent au premier débat mentionné:
l’influence croissante de la Chine en Afrique, mue par ses besoins en matières
premières et basée sur des relations politiques avec les régimes africains, ne
fait-elle qu’aggraver les symptômes de la «malédiction des ressources
naturelles» (corruption, autoritarisme, conflits)?
Sur ce plan aussi, le projet chinois au Tchad dessine un
tableau nuancé.
L’installation de la CNPC au Tchad a coïncidé, en 2007, avec
une baisse d’intensité du conflit tchado-soudanais imbriqué à celui du Darfour:
la Chine a de toute évidence contribué à apaiser les tensions entre ses deux
alliés.
Surtout, la première étape du projet Rônier fut originale,
puisqu’elle prévoyait une valorisation nationale des ressources pétrolières, à
travers la raffinerie de Djermaya (à une quarantaine de kilomètres de la
capitale tchadienne), qui fournit des produits pétroliers au marché intérieur
et un peu d’énergie au réseau électrique.
Les premiers mois furent néanmoins difficiles: l’entrée en
service de la raffinerie fin 2011 s’accompagna d’un bras de fer entre le
gouvernement tchadien, soucieux de fixer un prix «social» du carburant, et des
partenaires chinois préoccupés de la viabilité économique de leur
investissement. Les équilibres restent à trouver.
La deuxième étape est plus classique: l’exportation de la
CNPC viendra alimenter la rente pétrolière nationale, sans qu’on sache encore
si elle sera concernée par les mécanismes de pré affectation vers les secteurs
socio-économiques prioritaires et de transparence inaugurés, non sans mal, dans
le cadre du projet Doba.
Même si le recul manque encore, l’investissement de la CNPC
dans un pays comme le Tchad ne semble pas, selon nous, foncièrement différent
dans sa nature et ses effets de ceux des entreprises occidentales.
En élargissant l’éventail des partenaires, la Chine élargit
l’espace politique des Etats africains. L’augmentation de la rente pétrolière,
qu’elle que soit l’origine de l’entreprise qui la fournit, rend à l’Etat la
possibilité de mettre en œuvre des politiques publiques, après en avoir été
privé durant les décennies de l’ajustement structurel.
Les interactions des entreprises chinoises avec leurs
environnements d’accueil obéissent à un certain pragmatisme, mais les signaux
auxquels elles sont les plus sensibles méritent encore d’être mieux compris.
Géraud Magrin et Geert van Vliet
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