En France, l'Europe est un bouc émissaire facile. Pas en Espagne.L'Espagne va subir le plan d’austérité le plus dur de son histoire. Pourtant les Espagnols ne s’en prennent pas à l’Europe, comme cela arrive si souvent ailleurs.
www.slate.fr
Le plus important plan d’austérité de l’histoire de
l’Espagne, visant à épargner 65.000 millions d’euros, et contrepartie évidente
de l’accord que l’Espagne a trouvé quelques jours auparavant avec l’Union
européenne. Les termes sont assez clairs: en échange de l’aide économique, dont
un chèque de 30 milliards d'euros d’ici la fin du mois de juillet, le
gouvernement s’engageait à appliquer les mesures dictées par Bruxelles.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
L’Europe, éternel
bouc émissaire
Une mainmise que plus personne ne discute en Espagne. Simon
O'connor, porte-parole du commissaire aux Affaires économiques de l’UE, s’est
ainsi félicité que le gouvernement espagnol «affirme explicitement qu’il pense
suivre les recommandations de la Commission». Francesc Homs, porte-parole du gouvernement
nationaliste de Catalogne, s’est même amusé que Madrid «n’ait plus aucune
souveraineté dans les prises de décisions».
Un interventionnisme de Bruxelles qui est souvent perçu
comme une agression et provoque, dans de nombreux pays, un repli identitaire et
nationaliste qui semble passer par un refus des institutions européennes. C’est
ce qui se passe en Grèce. C’est ce qui se passe en France (avec le FN et le
Parti de Gauche). C’est ce qui se passe en Hongrie avec le Jobbik, en Autriche
avec le FPÖ, en Italie avec la Ligue du Nord, en Norvège avec le FrP. Selon une
récente étude du Pew Research Center, l’opinion positive des citoyens sur l’UE
a chuté de 52% à 31% en cinq ans tandis que celle négative a grimpé de 14% à
26% durant la même période.
Partout sauf peut-être en Espagne. Comme en Grèce, Irlande,
Portugal ou Italie, l’Union Eeuropéenne vient d’approuver un sauvetage qui met,
de fait, le pays sous tutelle. Pourtant, nulle trace de mouvements
anti-européen comme au Portugal, de gronde anti-allemande comme en Grèce ou de
montée de partis identitaires comme dans le reste du continent.
L’Espagne semble accepter les ordres de Bruxelles sans
broncher malgré la privatisation de la santé, la diminution des salaires
publics, un taux de chômage qui dépasse les 24% et ce nouveau plan d’austérité
qui devrait rendre la situation vraiment insoutenable. Pas de bronca contre les
bureaucrates insensibles de la BCE et du Conseil européen à l’horizon. Pas de
bouc émissaire tout trouvé comme partout ailleurs. L’Espagne serait-elle un
exemple à suivre?
Bubble Shooter,
safari et corruption
Oui et non. Car les Espagnols ne s'en prennent pas à
Bruxelles simplement parce qu’ils ont déjà trop à faire à s’indigner chez eux.
Le président de la Cour suprême et du Conseil général du pouvoir judiciaire,
Carlos Dívar, impliqué dans une affaire de détournement de fonds publics, le PP
de Valence embourbé dans plusieurs affaires depuis des mois, les caisses
d’épargne régionales (dont la fameuse Bankia) en banqueroute après une gestion
lamentable, le gendre du Roi, Iñaki Urdangarin, accusé de corruption, le Roi
lui-même en safari aux frais du contribuable, la ministre de l’Emploi, Fatima
Bañez, qui s’amuse à jouer à Bubble Shooter au lieu d’essayer de minimiser les
effets de la vraie bulle… immobilière cette fois. Et Rajoy qui assure pendant
des semaines que l’Espagne ne sera pas «sauvée» avant de s’enorgueillir de ce
sauvetage qui «arrange la situation» et lui permet d’aller voir le match de la
Roja à l’Euro pendant que Bruxelles débloquait les millions d’euros.
Difficile dans ces conditions de blâmer quelqu’un d’autre
que ses propres hommes politiques qui semblent faire exprès de commettre une
bourde après l’autre. Juste avant le sauvetage de son pays, Mariano Rajoy n’a
pas de meilleure idée que d’envoyer un SMS à son ministre des finances en
disant «tenez bon, l'Espagne n'est pas l'Ouganda!». Tôlé sur le Net ougandais
(et africain en général) et sarcasme des médias britanniques (qui n’en ratent
pas une) qui en profitent pour comparer la croissance (-0,1% vs 5,2%) et le
chômage (24% vs 4,2%) des deux pays.
On s’étonne moins dans ces conditions que 59% des Espagnols
rejettent la faute de la crise sur le gouvernement, 78% sur les banques, 26%
sur eux-mêmes et seulement 19% sur l’Union européenne, selon la même étude du
Pew Research Center. D’autant que l’idée est bien ancrée en Espagne que les
politiciens (corrompus) et les hommes d’affaires ont travaillé main dans la
main pour faire enfler la bulle immobilière. Et ce ne sont pas les scandales en
cascade qui apparaissent constamment qui vont inverser la tendance. Un mélange
de désespoir et de lassitude que montre bien ce dessin de l’humoriste Erlich
où, face au sauvetage de l’Espagne, un enfant demande à son père: «Papa… ils
nous sauvent de quoi?», «D’eux-mêmes», répond celui-ci.
L’Union européenne,
un allié de toujours
L’UE pourrait être plus clémente, d’autant que l’Espagne
avait commencé des plans d’austérité bien avant que les marchés ne décident de
s’attaquer vraiment à elle. Mais la rage contre un système empoisonné ne peut
se tourner que vers les responsables de celui-ci. Comme les autres, les
Espagnols n’aiment pas spécialement Bruxelles mais aiment encore moins leurs
dirigeants, comme le montre ce dessin humoristique de Peridis où l’on voit
Mariano Rajoy, une hache à la main, exiger à l’UE plus d’argent tandis que les
dirigeants bruxellois s’exclament: «Putain avec le débiteur [la hache, NDLE],
on dirait un créancier.»
D’autant que le système électoral bipartite espagnol ne
permet pas de vote vraiment contestataire. Les deux partis largement
majoritaires, PP et PSOE, sont clairement pro-européen. Et si contestation par
les urnes il y a, celle-ci passe par l’abstention ou par des partis
régionalistes/nationalistes (CIU ou ERC en Catalogne, le PNV au Pays Basque, CC
au Canaries…). Des partis dont la principale revendication n’est pas
économique, comme le prouve l’échiquier transversal catalan, mais largement
identitaire. Or l’Europe leur est toujours apparue comme la manière de
contourner l’Etat pour arriver à faire entendre leurs revendications. Comme un
allié.
Une position que la crise, aussi critique soit-elle, ne
changera pas. Après les annonces de Rajoy, le gouvernement catalan s’est
d’ailleurs empressé d’exprimer «un sentiment général de solidarité avec les
décisions que sont en train de prendre les institutions européennes» sans
oublier d’envoyer un petit message au passage à Madrid: «Nous, nous sommes
habitués à être commandés de l’extérieur et on n'aime pas ça. J’imagine que eux
non plus.»
Comme toujours en Espagne, les ressentiments et les rancœurs
internes, c’est-à-dire l’éternel débat entre pouvoir central et autonomique,
l’emportent sur le vrai problème. Personne ne semble remettre en cause le rôle
de l’Europe. Et s’il faut critiquer quelqu’un, c’est le gouvernement central
pour trop se laisser faire (depuis la périphérie) ou, au contraire, les régions
pour avoir un déficit chronique et intenable depuis des décennies (depuis le
centre).
Ainsi, il n’y a pas vraiment de parti anti-européen au
parlement espagnol pour le moment. Et on voit mal qui pourrait l’incarner, même
dans les prochaines années. Il est significatif qu’après avoir occupé plusieurs
villes espagnoles, les fameux indignés aient fini leur protestation par une
marche vers Bruxelles fin 2011, conscients que c’est là-bas que se jouait le
futur du pays et non pas au parlement de Madrid ou Barcelone.
Espagne, l’Europe de
demain
Malgré leur situation dramatique, les Espagnols semblent
certains de leur appartenance à l’euro et à l’Europe. Plus, en tout cas, qu’une
grande partie des Européens. Selon l’étude du Pew Research Center, 50% des
Espagnols pensent que leur économie nationale est affaiblie par l’intégration
économique européenne. Certes, ce nombre a considérablement augmenté depuis
2009 (il était de 32%) mais reste largement en dessous d’autres pays en
difficultés (Grèce 70% ou Italie 61%) et même de certains «moteurs» européens,
comme la France où il est de 63% (!) ou le Royaume-Unis (61%).
Que ce soit parce qu’ils ne voient pas d’autre solution ou
parce qu’un vrai gouvernement de Bruxelles leur apparaît comme la seule façon
de contrer les éternels scandales de corruption et les constantes magouilles
financières qu’ils ont subis depuis 30 ans, les Espagnols ne s’émeuvent pas outre
mesure de la mainmise de l’UE sur leur pays.
Aurélien Le Genissel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Chers intervenants,
Vous qui réagissez sur ce site , êtes priés de respecter certaines règles ; pas de propos à caractères : racistes, tribaux, antisémites ,xénophobes et homophobes, provocant à l’encontre des autres
Le non-respect de ces règles conduira à des sanctions ; l’effacement des messages sans avertissement et exclusion définitive du site.