A Dakar, Macky Sall a fêté ses cent jours au pouvoir. Très différent de
son fantasque prédécesseur, le discret chef d'Etat est-il le François Hollande
du Sénégal?
«J’ai oublié que nous avons un président qui s’appelle Macky Sall,
s’exclame Hassan, un commerçant dakarois. Cela change de la radio Wade.
L’ex-président Abdoulaye Wade parlait tout le temps. Ce président-là, il est
tellement discret que l’on oublie même qu’il existe.»
Hassan a voté pour Macky Sall, en mars 2012, lors de la présidentielle
qui a mis fin à douze ans de règne d’Abdoulaye Wade au Sénégal.
Plus qu’un vote d’adhésion, il s’agissait, selon lui, avant tout, de se
«débarrasser du président sortant, le vieux qui ne voulait pas partir».
Une antienne reprise par nombre de Sénégalais qui n’ont jamais été très
impressionnés par le candidat Macky Sall.
Sa victoire écrasante au second tour, il la doit essentiellement à la
volonté des électeurs de se débarrasser au plus vite d’Abdoulaye Wade.
Ingénieur de formation, Macky Sall, 51 ans, est beaucoup moins adepte
des envolées lyriques ou des outrances verbales que son prédécesseur. Macky
parle peu. Toujours avec modération. Au point d’apparaître parfois comme un
brin ennuyeux.
«L’autre jour, je suis tombé sur lui à TV5, mais j’ai dû arrêter au
bout de quelques minutes. Je m’ennuyais trop», explique en éclatant de rire une
étudiante de l’université Cheikh Anta Diop, à Dakar.
Tout comme François Hollande, Macky Sall ne semble guère pressé
d’occuper le palais présidentiel. Chaque soir, le président français retourne
dormir chez lui dans le XVe arrondissement de Paris. Chaque soir, Macky Sall
retourne dormir chez lui dans le quartier Mermoz. Quartier tout aussi calme et
résidentiel que le XVe.
Selon la presse sénégalaise, Macky Sall est d’autant moins pressé de
profiter des ors de la République qu’il souhaite d’abord «lutter contre les
forces mystiques»: les marabouts de son prédécesseur sont accusés par certains
médias dakarois d’avoir «fétiché» le palais présidentiel.
Quelle que soit la raison
invoquée, tout comme Hollande, Macky Sall donne l’impression d’entretenir une
certaine distance avec le pouvoir. Feinte ou réelle, elle contribue à le
distinguer de son prédécesseur.
Bon nombre de Sénégalais se
plaisent à relever les points communs entre les deux nouveaux dirigeants. Au
point de les avoir surnommés «normalité Hollande» et «sobriété Sall».
Abdoulaye Wade était, de son propre aveu, l’omniprésident. Il
s’occupait de tout et tout le temps. «Particulièrement modeste», il considérait
qu’aucun des hommes politiques sénégalais n’arrivait à sa cheville.
A part celui qu’il appelait «l’autre», Léopold Sedar Senghor, au
pouvoir de 1960 à 1980. Abdoulaye Wade aime à se qualifier d'«homme le plus
diplômé du Cap au Caire». Il n’hésite pas à donner des leçons d’économie à des
prix Nobel… d’économie.
«J’avoue que Wade me manque»
Chaque jour, Wade a une nouvelle idée. Une nouvelle provocation qui va
mettre le feu aux esprits. Les premiers à le regretter sont les journalistes.
«J’avoue qu’il me manque», répètent à l’envi maints journalistes
sénégalais et étrangers.
«Avec lui, il n’était jamais nécessaire de se creuser la tête pour
trouver des sujets à mettre à la une», explique le rédacteur en chef d’un
quotidien.
Même en ayant quitté le pouvoir, Wade continue à faire parler de lui.
Il a récemment accusé un de ses ex-lieutenants d’avoir faire venir des albinos
du Mali, afin de procéder à des sacrifices humains. En vue de remporter des
élections.
Une déclaration qui a, bien entendu, mis le feu aux poudres. Malgré son
grand âge, Wade garde un sens certain de la provocation. Et du happening.
Tout comme Nicolas Sarkozy, Aboudaye Wade est un excellent orateur qui
n’hésite pas à «parler peuple». Abdoulaye Wade pratique un wolof savoureux qui
amuse ou irrite, mais ne laisse pas indifférent.
Tout comme Sarkozy, Wade souhaitait incarner la rupture. Dans son cas,
il voulait en finir avec quarante ans de pouvoir socialiste. Wade dénonçait
l’immobilisme de ses prédécesseurs. Ami d’Alain Madelin (ancien ministre
français de l'Economie et des Finances, d'Alain Juppé, en 1995) Abdoulaye Wade
prétend incarner le libéralisme africain. Le fils «ministre de la terre et du
ciel»
Wade voulait faire bouger un pays qui selon lui ne changeait pas assez
vite. Son slogan de campagne, le «Sopi», le changement en wolof. Tout comme
Sarkozy, Wade a rarement manqué une occasion de remettre ses proches, ou ses
lieutenants à leur place. C’est-à-dire, bien derrière lui. Au second rang.
Abdoulaye Wade ne faisait pas confiance à grand monde. Mis à part
son…fils. Karim Wade, ministre tout puissant: son fils bien aimé était ministre
de la Coopération, des Infrastructures et de l'Energie.
Les opposants au régime et beaucoup de Sénégalais l’avaient surnommé
«ministre de la terre et du ciel». Les privilèges accordés à son fils lui ont
sans doute coûté cher. Là s’arrêtent les similitudes avec la France.
Certes Nicolas Sarkozy a eu la tentation de nommer son fils Jean à la
tête de l’EPAD (Etablissement public pour l’aménagement de la région de la
Défense) mais lorsqu’il a constaté —à grands coups de sondages— l’ampleur du
mécontentement populaire et de la tempête médiatique, il a changé de cap.
Tout comme chez les libéraux, chez les socialistes aussi les
similitudes ont leurs limites. Impressionnés par le succès de la primaire
française, les socialistes sénégalais ont décidé d’en organiser eux aussi.
Mais ils ont eu le bon goût de
limiter le nombre de candidats: un seul socialiste s’est présenté aux suffrages
des militants. Et c’était sans doute mieux ainsi, afin d’assurer son élection.
Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du parti ne jouit pas d’une
grande popularité. Il a d’ailleurs réalisé un piètre score lors de la
présidentielle de mars 2012 (Il a réuni sur son nom 11% des suffrages au
premier tour).
Les points communs entre les vies politiques sont moins étonnants qu’il
n’y paraît de prime abord. Les Sénégalais observent de très près la vie
politique française. Les médias français sont très suivis. Et plus de 100.000
Sénégalais vivent en France.
Les destinées des hommes politiques français et sénégalais vont-elles
continuer à se ressembler autant? Pas si sûr. Vu son grand âge; Abdoulaye Wade,
resté maître de son parti, le PDS (Parti démocratique sénégalais) ne peut guère
espérer revenir au pouvoir.
Il en va autrement de Nicolas Sarkozy, âgé d’à peine 57 ans. Et dont
une majorité d’électeurs de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) souhaite
qu’il soit le candidat de leur parti lors de la présidentielle de 2017.
A moins de croire à la réincarnation, Abdoulaye Wade devra confier son
héritage à l’un de ses fils. Le fils biologique, Karim Wade ou le fils
spirituel Idrissa Seck (ex-Premier ministre de Wade).
Mais pour l’instant aucun de ses
héritiers ne décolle dans les sondages. Macky Sall peut donc continuer à dormir
tranquille. Profiter d’un sommeil réparateur chez lui, dans le quartier
Mermoz. Plutôt que dans un palais
présidentiel «hanté» par le fantôme de Wade.
Pour François Hollande, le sommeil réparateur est nettement plus
difficile à imaginer. Il semble bien que la voix tonitruante de Nicolas Sarkozy
n’a pas fini de se faire entendre. Même jusqu’au tréfonds du XVe
arrondissement, il est très difficile de continuer à oublier son existence.
Un ex qui prend des vacances «bien méritées» dans le même pays
qu’Abdoulaye Wade. Un ex qui partage avec Wade, l’amitié de Mohammed VI.
François Hollande et Macky Sall ont sans doute un dernier point commun.
Celui de souhaiter de belles et longues vacances marocaines aux «ex». Des
vacances qui durent le plus longtemps possible. Mais Sarkozy et Wade l’entendent-ils de cette oreille? Le
mutisme n’a jamais été leur art de prédilection.
Pierre Cherruau -slate Afrique
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