Jamais encore la rue ne s'était ainsi mobilisée contre les crimes rituels. Les hommes politiques du Gabon sont montrés du doigt. Enquête sur une horreur devenue quasi hebdomadaire.Libreville, le 11 mai dernier. Dans la capitale gabonaise, le fond de l'air est humide, comme le veut la saison, et étrangement anxiogène.
Ce matin-là, la population est descendue dans la rue pour manifester sa colère
contre les crimes rituels, cette horreur devenue quasi hebdomadaire. Depuis des
mois, les morts se succèdent et la presse locale ne cache rien à ses lecteurs
du martyre des victimes. L'Association de lutte contre les crimes rituels
(ALCR) a recensé 24 assassinats depuis janvier 2013, pour la plupart perpétrés
dans la région de Libreville.
En tête de cortège, ce 11 mai, la première dame, Sylvia
Bongo, « parce qu['elle] veu[t] exprimer [sa] révolte, [sa] compassion et [sa]
solidarité, mais aussi parce qu['elle] veu[t] pouvoir être en parfaite
adéquation avec [ses] convictions personnelles et les valeurs morales et sociétales
auxquelles [elle] adhère. » Un peu plus tard, c'est le chef de l'État, Ali
Bongo Ondimba, qui promet que « les barbares ne l'emporteront pas ». « Il n'y
aura pour les assassins, comme pour les commanditaires, aucune forme de
clémence, poursuit-il. Nous devons bouter l'impunité hors de nos mentalités et
hors de notre pays. »
Mutilé
Longtemps niés, souvent relativisés, timidement réprimés,
les crimes rituels ont fini par susciter une indignation générale jusque sur
les réseaux sociaux. Le comble de l'horreur a été atteint avec la découverte du
corps affreusement mutilé de la jeune Yollye Babaghéla, retrouvé le 20 janvier
à Libreville. Sept adolescentes ont par la suite connu un sort similaire. Le 17
mars, le corps sans vie de la petite Astride Atsame a été retrouvé sur une
plage de la capitale. Elle n'avait que 7 ans. La police a saisi des glacières
dont le contenu serait destiné à approvisionner l'écoeurant marché dit des «
pièces détachées ». Mais ce trafic d'organes n'est pas destiné à quelque malade
en attente de greffe : les organes (langues, yeux, coeurs, oreilles et
sexes...) servent à élaborer des fétiches et, même s'il est impossible de le
prouver, la rue gabonaise est convaincue que les instigateurs de ce commerce
macabre sont issus du marigot politique et des beaux bureaux de la haute
fonction publique. Ce serait le prix à payer pour accéder au sommet. « Dans
l'imaginaire collectif, pouvoir et sorcellerie sont synonymes, explique
l'anthropologue Joseph Tonda, professeur à l'université Omar-Bongo de
Libreville. Il y a cette idée que, pour être puissant, il faut posséder un
organe de plus, notamment dans le ventre. Comme si on ne pouvait exercer le
pouvoir sans l'existence et la mise en activité de cet organe. »
Dans ce procès en sorcellerie, les hommes politiques sont
donc pointés du doigt. Dans leurs prêches, les nouvelles Églises évangélistes
entretiennent les amalgames, assimilant sans nuance sorcellerie, satanisme et
ordres initiatiques. Même les francs-maçons en ont fait les frais. « En 2009,
lorsque la vidéo de l'intronisation du chef de l'État comme grand maître de la
Grande Loge du Gabon a été diffusée, j'ai eu beaucoup de mal à expliquer à mes
enfants que nous n'y buvions pas de sang humain », soupire un cadre d'Airtel
Gabon que sa famille a, à cette occasion, découvert en tablier maçonnique.
Impunité
Les crimes rituels ne sont pas nouveaux. Ils existaient déjà
quand Omar Bongo Ondimba régnait sur le Gabon et ils ne sont même pas le seul
fait des hommes politiques. Mais ils se sont multipliés ces derniers mois à
mesure que le nouveau chef de l'État mettait de l'ordre dans le système hérité
de son père, taillant dans les prébendes et dans certains des privilèges indus.
Désormais, les places sont chères et, pour les courtisans, tous les moyens sont
bons pour faire partie de l'entourage présidentiel. Le fétichisme est devenu
l'indispensable ingrédient des intrigues de cour. Le catalyseur réel ou
fantasmé des promotions et les disgrâces via les gangas, qui sont tout à la
fois voyants, soignants et féticheurs. Amulettes, talismans et poudres de
perlimpinpin, disent-ils, auraient le pouvoir de forcer le destin en favorisant
une nomination à un poste juteux en influant sur l'issue d'une élection
législative ou municipale ou en jetant un mauvais sort à un ennemi. Rien n'est
prouvé, mais, au pays de l'iboga, les croyances ont la peau dure.
Pour exorciser ses démons, le Gabon envisage d'adapter son
code pénal et de créer, ainsi que le souhaitent les associations de familles
des victimes, « une infraction relative aux crimes à but fétichiste ». Le chef
de l'État a évoqué la possibilité d'alourdir les sanctions encourues pour ne
retenir, dans le cas de crimes rituels, que l'emprisonnement à perpétuité sans
possibilité de remise de peine. Un voeu pieux ? Rares sont les suspects à se
retrouver devant la justice, regrette Elvis Ebang Ondo de l'ALCR. « D'ailleurs,
aucun commanditaire n'a jusqu'à présent été jugé. » Elvis Ebang Ondo, dont le
propre fils a été assassiné (son corps mutilé a été retrouvé sur la plage de
Libreville), a participé à la création de l'ALCR en 2005. Il dénonce un manque
de volonté politique et affirme que les prédateurs en col blanc agissent en
toute impunité, protégés qu'ils sont par le mur de la puissance et de l'argent.
Le vrai chantier, renchérit l'avocate Paulette Oyane Ondo, « c'est la
modernisation de tout l'appareil judiciaire ». « Il faut lui donner plus
d'indépendance, créer une vraie police scientifique et former des enquêteurs
spécialisés, préconise-t-elle. Alors qu'ailleurs la police scientifique peut
prélever l'ADN pour confondre un criminel, au Gabon nous ne sommes même pas
capables de relever des empreintes digitales. » Reste que les crimes rituels
continueront d'endeuiller le Gabon aussi longtemps que certains seront convaincus
que l'ascenseur social passe par l'étage du féticheur.(Jeuneafrique)
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