Femme de réseaux, l’ex-première dame a fait de son nom un
atout. Devenue vice-présidente suite à la victoire de George Weah fin décembre,
elle est revenue au cœur du pouvoir. Mais à quelles fins ?
Sous la lumière blanche d’un couloir sans fin du Capitole
libérien, des dizaines de personnes attendent en silence depuis des heures. La
file s’est allongée ces dernières semaines : derrière la porte en bois, il n’y
a plus seulement l’une des femmes politiques les plus puissantes du Liberia,
mais aussi la vice-présidente du pays. « Jewel Howard-Taylor » s’affiche en
lettres d’or au-dessus du chambranle. L’ancienne femme de Charles Taylor a
gardé le patronyme de son ex-mari accolé à son nom de jeune fille. « Taylor »,
un synonyme de guerre, de pillage et de chaos.
Jewel a changé de fonction mais n’est pas près de changer de
bureau. Le bâtiment qui doit accueillir le deuxième personnage de l’État est en
construction à quelques mètres de là. Elle reste donc dans cette pièce trop
petite qu’elle occupe depuis qu’elle a été élue sénatrice, en 2005. Un canapé
dans un coin, son bureau dans un autre, Jewel trône au milieu des dossiers.
« Je dis toujours la vérité », jure-t-elle, le regard droit
et assuré. Derrière elle, un grand poster de Jésus. Une Bible est à portée de
main.
L’influence de Charles Taylor
Le temps a légèrement creusé ses traits, mais, à 55 ans,
elle ressemble encore à la jeune femme qui, robe immaculée et voile assorti,
posait à côté de son mari, en 1997. Taylor s’apprête alors à devenir président.
Le couple vient de se retrouver après une décennie de vie à distance. En 1985,
accusé par le régime de Samuel Doe d’avoir détourné 900 000 dollars, Charles
Taylor a fui le Liberia pour rejoindre les États-Unis, où il a été arrêté. Mais
lorsque Jewel part le retrouver, il s’est déjà évadé dans des circonstances
restées mystérieuses.
Elle assure que
Charles Taylor n’influencera en rien la politique libérienne des six prochaines
années
Elle décide alors de s’installer avec leurs deux enfants de
l’autre côté de l’Atlantique pour poursuivre ses études à l’Institut bancaire
du New Jersey. Pendant ce temps, il a créé le National Patriotic Front of
Liberia (NPFL) et pris la tête de ce mouvement rebelle, qui commet de multiples
atrocités. Plus de 150 000 personnes seront tuées en quatorze années de guerres
civiles, et des centaines de milliers d’autres contraintes à la fuite.
Autant de crimes dont son ex-femme dit n’avoir jamais eu
connaissance. Pas plus que de la répression féroce perpétrée sous le mandat
présidentiel de son ancien mari. Bien plus qu’une première dame, elle était
pourtant conseillère du chef de l’État et gouverneure adjointe de la Banque
nationale libérienne, des fonctions qui la conduiront sur la liste des proches
visés par les sanctions des Nations unies.
Je ne dois rien à
mon nom. Cela fait quinze ans que je fais de la politique, et j’en suis là
grâce à celle que je suis et à ce que j’ai fait
Mais de cela, cette femme divorcée depuis 2006 n’a pas envie
de parler : « C’est du passé. » Elle assure que, depuis la prison britannique
où il purge une peine de cinquante ans de réclusion, Charles Taylor n’influencera
en rien la politique libérienne des six prochaines années. Et refuse de dire si
elle est restée en contact avec lui : « Est-ce si important ? » Plusieurs
membres de son entourage reconnaissent pourtant qu’ils se parlent
régulièrement.
« Je ne dois rien à mon nom. Cela fait quinze ans que je
fais de la politique, et j’en suis là grâce à celle que je suis et à ce que
j’ai fait », martèle-t-elle. Loin d’être un repoussoir, « Taylor » est bien un
aimant pour certains dans le pays. « Si elle a gardé son nom de femme mariée,
ce n’est pas pour rien », lâche un conseiller du nouveau président, George
Weah. Pendant de longs mois, les États-Unis ont tout fait pour dissuader
l’équipe de ce dernier de former ce ticket. « Mais elle nous apportait plus
qu’elle ne nous coûtait », résume le même conseiller.
Personnage majeur du Sénat
D’autant que, si elle n’a plus d’argent, Jewel garde des
réseaux. Pendant la campagne, elle a voyagé en Israël, en Turquie, au Gabon et
au Nigeria et a été envoyée seule à Malabo pour tenter d’obtenir le soutien du
chef de l’État équato-guinéen. Elle a aussi conservé un anglais léché de ses
années américaines et des liens avec les « Congos », ces descendants d’esclaves
africains-américains qui constituent la majeure partie de l’élite libérienne.
« Bijou », comme l’appellent ses amis francophones, n’est
pas une novice. Elle s’est construit une image de politique travailleuse et
sérieuse. Malgré la proposition de projets de loi controversés tels que la
criminalisation de l’homosexualité et le caractère chrétien de l’État libérien
non adoptés, elle est devenue un personnage majeur du Sénat, dont elle n’a
manqué la présidence qu’à une voix près en 2012. Une expérience qui a fait
d’elle une fine tacticienne.
C’est une
ambitieuse qui se rêve depuis des années au sommet de l’État, confie un proche
de Georges Weah
Elle n’est ainsi pas étrangère au soutien apporté par Prince
Johnson à Weah lors du second tour. Célèbre pour avoir assassiné Samuel Doe en
1990, l’ancien chef de guerre devenu sénateur est désormais un allié protégé. «
C’est peut-être un meurtrier, mais n’a-t-il pas été élu ? rétorque-t-elle. Il
va jouer un rôle important. La justice n’est pas une priorité », assume-t-elle,
dressant la liste des besoins urgents : routes, emploi, accès à l’eau et à
l’électricité… « Des procès pour les crimes commis au Liberia ne seraient pas
une bonne chose. Il faut nous réconcilier », soutenait-elle au lendemain de la
condamnation de Taylor, en 2012.
Jewel Howard-Taylor ménage ainsi tout le monde et, surtout,
le nouveau président. « Je ne veux pas me mettre en avant », s’excuse-t-elle,
vantant les mérites d’un Weah « extrêmement intelligent, qui n’a rien d’un
footballeur ordinaire ». « Il est bien plus grand qu’un Messi ou un Ronaldo ! »
À côté d’un homme décrit par ses opposants comme politiquement peu structuré,
la vice-présidente se défend de vouloir devenir le cerveau du mandat. Chez les
proches de George Weah, la méfiance est pourtant déjà de mise. « C’est une
ambitieuse qui se rêve depuis des années au sommet de l’État, confie l’un
d’eux. Elle y a renoncé cette fois-ci, mais qui sait si elle ne sera pas
candidate la prochaine fois ? »
« La deuxième femme la plus populaire du pays »
Si l’ancien footballeur et l’ex-première dame ont noué leur
alliance électorale début 2017, cela faisait plusieurs années qu’ils étaient en
contact. « Nous avons calculé qu’elle nous était indispensable si nous voulions
l’emporter, explique un proche de George Weah. Après Ellen Johnson-Sirleaf,
c’est la deuxième femme la plus populaire du pays, et elle nous permettait de
séduire l’électorat féminin. Surtout, elle est aux yeux de nombreux Libériens
l’héritière de Charles Taylor, qui reste extrêmement populaire dans certaines
régions. »
C’est d’ailleurs dans le fief de l’ancien président, le
comté de Bong, qu’elle s’est fait élire sénatrice en 2005 et en 2014. Son
soutien a permis à Weah d’y remporter 64,2 % des suffrages le 26 décembre 2017.
Source:@jeuneafrique
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