Derrière un look flamboyant et un naturel excentrique se cache une première dame bien consciente de son rôle dans la vie politique du Cameroun. Mais qui est vraiment Chantal Biya ?
Se faire remarquer, c'est tout un art. Chantal Biya en a une
nouvelle fois apporté la preuve lors du sommet de l'Élysée pour la paix et la
sécurité en Afrique, en décembre. Réunie avec ses homologues du continent par
Valérie Trierweiler, la compagne du président français, François Hollande, pour
une séance de travail sur les violences sexuelles faites aux femmes en zones de
conflit, elle avait fait parler d'elle en se maquillant ostensiblement pendant
les débats. Quelques heures plus tard, elle en rajoutait, minaudant devant les
caméras de Canal+ en envoyant "plein, plein de bisous à Yann [Barthès, un
animateur vedette de la chaîne de télévision]". Simple excentricité ?
"Certainement pas, souligne une de ses amies. Chantal est une personnalité
bien plus complexe qu'il n'y paraît."
Cheveux roux et look flamboyant totalement assumés, la
seconde épouse du président camerounais intrigue, séduit, agace ou amuse. Une
forme de consécration pour cette métisse de 42 ans, accueillie fraîchement à
son arrivée au coeur du pouvoir à tout juste 23 ans par une classe politique
adepte de l'entre-soi. "Excellence" pour ses collaborateurs, qui la
craignent, "Chantou" pour la plupart des Camerounais, la femme
effacée du milieu des années 1990 a gagné en assurance sous les ors du palais
d'Étoudi. Méthodiquement, elle a bousculé les codes, construit son réseau et
érigé son propre système, devenant une véritable actrice de l'ombre de la vie
politique camerounaise, capable de faire et défaire des carrières.
Elle veille à la promotion des siens. Nombreuses sont les
influentes personnalités de l'est du Cameroun - sa région d'origine - qui lui
doivent en partie leur ascension : Antoine Zanga, deux fois ministre et actuel
ambassadeur du Cameroun au Vatican ; l'ex-journaliste Joseph Lé, directeur
adjoint du cabinet civil à la présidence de la République ; l'ancien maire de
sa ville natale de Dimako, Janvier Mongui Sossomba, promu président de la
chambre d'agriculture en 2011. Dans le premier cercle de Chantal Biya figurent
aussi Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, Pierre Ismaël
Bidoung Mkpatt, ministre de la Jeunesse, ou encore Hilarion Etong, premier
vice-président de l'Assemblée nationale.
Le Cerac lui permet d'asseoir son autorité
Du côté des femmes, si elle a gardé la plupart de ses amies
de jeunesse, son véritable vivier de relations se trouve désormais au Cercle
des amis du Cameroun (Cerac), qu'elle a créé, qu'elle préside et qui lui permet
d'asseoir son autorité. La première dame est notamment proche de Habissou
Bidoung Mkpatt, épouse du ministre de la Jeunesse et secrétaire générale de la
Fondation Chantal-Biya, de Yaou Aïssatou, ex-ministre de la Condition féminine
aujourd'hui directrice générale de la Société nationale d'investissement (sa
"marraine" à son arrivée au Palais, à la demande du chef de l'État),
ou de Nathalie Engamba Ada, épouse d'Adolphe Moudiki, le très secret et
influent directeur général de la Société nationale des hydrocarbures.
Pourtant, son emprise sur son président de mari a des
limites. Elle a certes joué un rôle dans l'éloignement d'Alain Mebe Ngo'o du
cabinet civil de la présidence en 2004, mais n'a pu obtenir le même résultat
avec son remplaçant, Martin Belinga Eboutou, avec qui elle entretient des
relations tendues. De même, elle n'a pas pu empêcher l'incarcération de Marafa
Hamidou Yaya, ex-secrétaire général à la présidence, dont les rejetons étaient
amis avec Anastasie Brenda Eyenga et Paul Biya Junior, les enfants du couple
présidentiel.
Qu'importe ! Ce n'était pas gagné pour cette "fille du
peuple" née à Dimako, petite localité perdue dans l'immense forêt de l'est
du pays, cette enfant unique élevée par une mère célibataire, Rosette
Ndongo-Mboutchouang, ancienne Miss Bertoua (1967) entre-temps devenue maire de
Bangou (ouest), en 2007. Ni pour l'adolescente montée à Yaoundé suivre ses
études secondaires et qui devait se contenter de rencontres épisodiques, à
Douala, avec son père français, Georges Vigouroux, ex-employé de la Société
forestière et industrielle de Bélabo, qui la reconnaîtra sur le tard. Ni,
enfin, pour le mannequin, déjà mère de jumeaux, défilant pour d'obscurs
stylistes locaux quand elle n'est pas serveuse dans un restaurant de la
capitale.
Loin du cliché de la Première dame qui reste à sa place
En 1992, Paul Biya perd sa première épouse, Jeanne-Irène
Atyam. Son entourage, qui l'incite à refaire sa vie, a une idée bien précise de
la compagne idéale. Ainsi, son ministre et ami de longue date Ibrahim Mbombo
Njoya, sultan des Bamouns, dissimule mal son espoir d'une union avec l'une des
filles de la dynastie régnante à Foumban (ouest). "En somme, décrit le
sociologue Fred Eboko, les bien-pensants lui prescrivent un mariage politique
avec une "femme savante", une "précieuse ridicule" ou une
"fille de" qu'on lui aurait présentée." Pourquoi Paul Biya
a-t-il finalement jeté son dévolu sur Chantal Pulchérie Vigouroux ?
De leur rencontre, on ne sait en réalité pas grand-chose.
Auteur d'une biographie du président (Les Secrets du pouvoir, Karthala, 2005),
Michel Roger Emvana évoque un coup de foudre en 1993, lors de la soirée
d'anniversaire du chef de l'État à Mvomeka'a, son village natal. Chantal, 22
ans, y a été emmenée par une amie, la regrettée Élise Azar, une métisse
libano-camerounaise épouse d'un neveu de Biya. Fred Eboko poursuit :
"Séduit par cette Chantou spontanée, drôle, impulsive et naturelle, Paul
Biya a fait un choix personnel, intime."
Vingt ans plus tard, les époux donnent l'image d'un couple
des plus traditionnels, amoureux, uni par un goût partagé des longs séjours à
l'étranger, qui occupe au quotidien un petit pavillon dans l'enceinte du Palais
et entretient de saines relations avec les jumeaux de Chantal, Patrick et
Franck Hertz, 25 ans, respectivement chef d'entreprise (Patrick a succédé à
leur père, Louis Hertz, décédé en 2009, à la tête de Mac Pac International
Movers) et cadre à la Société nationale des hydrocarbures. Quant à Georges
Vigouroux, qu'on dit très introduit dans les réseaux de Bolloré, il a une forte
influence au niveau de la plateforme portuaire de Douala, où il joue le rôle de
facilitateur auprès d'entreprises en quête de contrats. De tous les voyages et
cérémonies officiels ou presque, le père de Chantal Biya s'est même octroyé,
pendant le sommet de l'Élysée, un petit séjour à la résidence présidentielle,
villa Maillot, à Neuilly-sur-Seine.
Loin de l'image de la première dame africaine se contentant
de rester à sa place, Chantal Biya, qui ne figure nulle part dans
l'organigramme officiel de la présidence, investit l'espace public dès 1994.
Notamment avec une fondation à son nom qui devient, au plus fort de la pandémie
du VIH/sida, un partenaire incontournable des organisations internationales
pour la fourniture de médicaments et la prise en charge des orphelins sur le
sol camerounais. Chantal Biya, qui dispose toutefois d'un bureau dans
l'enceinte du palais d'Étoudi, suggère des pistes de lobbying et organise des
campagnes de levée de fonds particulièrement efficaces. Ce qui lui vaut d'être
consacrée "star de la lutte contre le sida" par Luc Montagnier,
codécouvreur du virus. Le professeur français avait accepté, dès 2002, d'être
le parrain et la caution scientifique de la Fondation Chantal-Biya.
Mais c'est une autre organisation, Synergies africaines
contre le sida et les souffrances, qui assure son rayonnement international à
une Chantal Biya plus politique et apte à s'entourer des meilleures
compétences. Créée en marge du 21e sommet France-Afrique organisé en 2001 à
Yaoundé, l'association rassemble une trentaine de premières dames, les
adhésions les plus récentes étant celles de Djéné Kaba Condé (Guinée) et de
Sylvia Bongo Ondimba (Gabon). Chantal Biya est également proche de Chantal
Compaoré (Burkina Faso), présidente d'honneur de Synergies africaines, et de
Dominique Ouattara (Côte d'Ivoire).
Des petits gestes qui touchent les Camerounais
Épouse d'un président taiseux et souvent absent de l'arène
politique nationale et internationale, Chantou a le secret de ces petits gestes
qui ravissent les Camerounais. Ainsi, lors de la Coupe d'Afrique des nations
2002, au Mali, elle avait fait affréter un avion militaire chargé de
victuailles et dépêché quatre cuisiniers pour régaler une délégation
camerounaise peu séduite par la cuisine locale. En décembre 2012, lors de la
20e assemblée générale du Cerac, elle avait tenu contre sa poitrine, pendant trente
longues minutes, l'un des petits orphelins du Centre communautaire de
l'enfance, à Yaoundé. Autre exemple : pendant les célébrations de la Journée de
la femme, le 8 mars 2012 à Meyomessala, elle avait personnellement distribué du
champagne, soulevant sans façon les plateaux de boisson et hélant chacune des
invitées par son nom.
À ceux qui l'accusent de surjouer, une juriste, membre de
l'association, rétorque : "Au Cerac, elle est simplement elle-même, une
jeune grand-mère qui prend son petit-fils sur ses genoux. C'est quelqu'un de
bien, de simple." Trop simple ? L'épouse d'un ancien ministre confie que
lors des rencontres de l'association, Chantal Biya, volubile, toujours prête à
s'esclaffer et à esquisser des pas de danse, se contente de banales amabilités.
Un style que ses détracteurs vilipendent, quand Jeanne-Irène Biya ou même
Germaine Ahidjo personnifiaient à leurs yeux la classe et la grâce.
L'opposition, qui s'accommode mal de son omniprésence dans les médias - en
particulier en périodes électorales -, dénonce un clientélisme aux frais de
l'État. Pour elle, les innombrables événements que l'ambassadrice de bonne
volonté de l'Unesco préside, du Grand Prix Chantal-Biya (cyclisme) à la Journée
mondiale de sensibilisation à l'autisme, servent avant tout les intérêts du
président.
Dans une société camerounaise où l'on s'interroge sur
l'avenir du pays, la population se fait spectatrice et semble en redemander.
Comme souvent en Afrique, quand les scénarios sur la succession d'un chef
d'État en place depuis plusieurs décennies sont flous, certains n'hésitent plus
à prédire un destin présidentiel à celle qui, derrière l'image de la locataire
fantasque d'Étoudi, cache une première dame en quête de reconnaissance. Comme
pour leur donner raison, Chantal a pris des cours d'anglais et tente de
renforcer sa culture politique par des lectures ciblées. Mais de là à lui
envisager un destin à la Cristina Kirchner, il y a un pas qui ne sera sans
doute jamais franchi.(Jeuneafrique)
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