À 75 ans, c’est un monument du cinéma africain (et du cinéma tout court) qui défendra les couleurs africaines au Festival de Cannes 2015. Deux fois Étalon d’or au Fespaco, le Malien Souleymane Cissé était avec son Prix spécial du jury en 1987 pour «Yeelen» aussi le premier cinéaste de l'Afrique noire avoir été primé sur la Croisette. À la 68e édition qui ouvre ses portes ce mercredi 13 mai, il présentera en sélection officielle, mais hors compétition, «O Ka» («Notre Maison»).
Une semaine
avant l’ouverture du Festival de Cannes, il était encore à Paris pour s’occuper
de l’étalonnage de son nouveau film O Ka (« Notre Maison »), choisi pour la
prestigieuse sélection officielle par Thierry Frémaux, le « gourou » de Cannes.
Le cinéaste malien connaît bien les exigences du plus grand festival de cinéma au
monde. La Croisette et Souleymane Cissé, c’est une longue histoire.
En 1987,
quand il a monté, habillé d’un grand boubou bleu, les marches du Palais des
Festivals pour présenter Yeelen, certains avaient vu un air de marabout malien
défiler sur le tapis rouge. Depuis, Souleymane Cissé était plusieurs fois en
sélection officielle, membre du jury de la Palme d’or en 1983 et président de
la Cinéfondation en 2006. Bref, un habitué du rendez-vous mondial du cinéma,
mais un habitué qui se fait rare. En cinquante ans de carrière, ce n’est que le
huitième long métrage qu’il a réalisé. Et pourtant, « l’homme de la rivière » a
consacré toute sa vie au septième art.
Monter dans
les arbres pour regarder un film
Né le 21
avril 1940 à Bozola, un quartier pauvre de Bamako, dans une famille musulmane
modeste et croyante - son père gagne sa vie comme tailleur, sa mère vend du mil
sur les marchés – c’est à l’âge de 5 ans qu’il entre pour la première fois dans
une salle de cinéma. Une fascination qui n’a jamais cessé depuis les séances au
Vox, une grande salle à Bamako, où il montait dans les arbres pour regarder le
film par-dessus le mur.
Le véritable
déclic s’est produit après son retour au Mali après des études de philosophie à
Dakar quand il découvre en tant que projectionniste un documentaire sur
l’arrestation de Patrice Lumumba, l’ancien Premier ministre congolais assassiné
en 1961. C’est ce « choc » subi en tant que cinéphile qui déclenché sa vocation
de cinéaste. Même si les combats et les rêves qu’il raconte dans ses films
reflètent de plus en plus aussi son vécu personnel.
La question
de la polygamie abordée en 2009 sous forme d’une comédie dans Min Yé (« Dis
mois qui tu es »), fait aussi écho à son père polygame que Souleymane Cissé et
ses huit frères et sa sœur ont été forcés de quitter en 1988. Et pour parler du
Mali dans O Ka (« Notre Maison »), Cissé revient sur le combat judiciaire de
ses quatre sœurs, expulsées de leur maison familiale à Bamako.
Une
formation à Moscou
Pour se
former à l’art cinématographique, il part en 1963 à Moscou, avec une bourse
pour le célèbre institut de cinéma VGIK dans la poche, comme le Sénégalais
Ousmane Sembène avant lui (et qu’il avait rencontré pour la première fois en
1965, en Union soviétique) et Abderrahmane Sissako après lui. De cette période
moscovite, il a gardé une admiration sans faille pour Le Cuirassé Potemkine de
Sergueï Eisenstein à cause de son sens du montage, de la construction et de
l’équilibre.
Rentré au
Mali, après une aventure russe qui a duré six ans, il travaille en tant que
cameraman au ministère de l’Information malien avant de réaliser son premier
long métrage, Den Musso (« La Jeune fille »).
L’obstination
et la censure
Jamais, les
obstacles ne lui ont fait dévier de sa route : dès son film, tourné avec une
caméra 16 mm en 1975, il était confronté à la censure. Pour avoir insisté, à
réaliser et diffuser ce film qui raconte le drame d’une jeune fille muette qui
sera violée et puis rejetée par sa famille, il a même passé une semaine dans la
grande prison de Bamako avant d’être sauvé grâce à la mobilisation de Sembène
Ousmane au Fespaco.
Mais il
persiste et signe. Après avoir remporté son premier Étalon d’or pour Baara («
Le Travail ») qui aborde un soulèvement d’ouvriers maliens, il réalise en 1982
Finyé (« Le vent »). Selon lui, un film dirigé contre le régime en place, mais
cette fois sans subir la censure, malgré le fait qu’il dépeint une société
malienne désespérée sous la dictature de Moussa Traoré.
Le futur
film à succès Yeelen (« La Lumière »), où il démontre que la colonisation sera
un jour un épisode comme un autre qu’il faudra parvenir à dépasser, était aussi
longtemps considéré comme un projet maudit, tellement les problèmes
s’accumulaient, à l’instar de l’acteur principal qui succombait à une crise
cardiaque pendant le tournage.
Transporter
un lion de France en Afrique
Dans Waati
(« Le Temps »), Cissé accepte également un véritable parcours de combattant de
sept ans pour mener à bout son projet, l’histoire de Nandi, une petite fille
née dans une Afrique du Sud encore frappée par l’apartheid et qui ne se
transformera pas si tôt. Pendant le tournage, Souleymane Cissé change deux fois
l’actrice du rôle principal avant de trouver dans la maquilleuse stagiaire du
film, une jeune Kenyane originaire d’Afrique du Sud, le casting idéal. Et il
n’hésite pas non plus à demander à son producteur exécutif, Daniel Toscan du
Plantier, déjà exaspéré par l’explosion des coûts, de lui envoyer en Afrique un
lion dressé de Marne-la-Vallée. Pour Andrée Davanture, sa chef monteuse pendant
près de 40 ans qui vient de disparaître, Cissé était l’incarnation de « la
contradiction dynamique ».
Malgré les
nombreux obstacles, Souleymane Cissé est toujours resté positif. Il puise sa
force dans le dialogue avec les œuvres d’autres cinéastes qu’il admire. Il a
consacré un documentaire à l’Américain Martin Scorsese et un autre au Français
Jean-Jacques Annaud. À son « frère » et ami Ousmane Sembène, il avait dédié en
2013 O Sembène qui rend visible à quel point ils ont partagé dans leurs films
respectifs le même engagement contre l’injustice.
Mais il
possède encore une autre source puissante pour nourrir son optimisme. Il croit
au meilleur en chaque être humain et à la force que lui donne la nature : « En
faisant des films, je ne crée pas, mais je participe à quelque chose en allant
récolter la poésie de la nature et de l’homme » avait-il déclaré dans un
portrait que le documentariste Rithy Panh lui avait dressé dès 1991.(RFI)
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