L'arrestation et l'extradition
vers le Cameroun en janvier du "président" autoproclamé des
séparatistes a considérablement affaibli le mouvement indépendantiste. Divisé
en plusieurs groupuscules, celui-ci fait l'objet d'une intense bataille de
leadership.
Alors qu’une profonde crise
socio-politique oppose l’État à la nébuleuse séparatiste dans les deux régions
anglophones de l’Ouest du Cameroun, les dissensions sont profondes dans le camp
indépendantiste.
« Aujourd’hui, on est divisés, ça
ne peut pas marcher comme ça » : par WhatsApp, un leader séparatiste anglophone
camerounais laisse ainsi paraître son amertume.
« C’est le moment »
D’un côté, les anciens leaders du
Southern Cameroon National Council (SCNC), vieux mouvement interdit par Yaoundé
qui plaide pour la cause séparatiste depuis 1995, se sont regroupés au sein du
Scacuf, le Southern Cameroons Ambazonia Consortium United Front. Ceux-ci
prônent la lutte pacifique : « les négociations sont notre meilleure arme »,
affirme Millan Atam, un leader du Scacuf.
Sisiku Ayuk Tabe, arrêté début
janvier au Nigeria en compagnie de neuf de ses partisans et extradé au
Cameroun, en est le « président » autoproclamé. Ancien ingénieur informatique,
Ayuk est entouré dans son « gouvernement » d’un ancien chargé des affaires
humanitaires à l’ONU pour le Burundi, de professeurs camerounais d’universités
au Nigeria, d’anciens journalistes…
De même, de nombreux militants du
Scacuf sont issus des syndicats d’enseignants, d’avocats, des milieux
agricoles, ceux-là même qui étaient à l’origine de la crise, fin 2016. À
l’époque, de forts mouvements sociaux avaient secoué l’Ouest camerounais
appelant au retour du fédéralisme abandonné en 1972.
Depuis, l’adhésion à la cause
séparatiste a grandi à mesure que la violence s’installait – du fait,
notamment, d’un fort déploiement de forces de sécurité camerounaises – et du
sentiment que « c’est le moment », selon une formule reprise par plusieurs
leaders séparatistes.
Seconde nébuleuse indépendantiste
De sources concordantes, l’assise
populaire du « gouvernement intérimaire » du Scacuf est forte en région
anglophone du fait du terreau économique et social sur lequel il s’appuie. Mais
cette nébuleuse politique, qui dispose d’une télévision en ligne, a néanmoins
été décimée en janvier avec l’arrestation d’Ayuk et de nombreux cadres du
Scacuf.
Face à eux, s’est peu à peu
formée une seconde nébuleuse de groupes indépendantistes, qui, pour la plupart,
prônent la lutte armée contre « les forces d’occupation colonialistes ». Ils se
sont rassemblés le 11 février dans l’Ambazonia recognition collaboration
council (ARCC), sous la houlette officieuse d’un combattant de toujours, Lucas
Cho Ayaba.
Cho Ayaba et Ebenezer Akwanga militent en
exil pour la lutte armée contre Yaoundé
Cho Ayaba, avec le leader d’un
autre groupe armé, Ebenezer Akwanga, sont deux anciens syndicalistes étudiants
de l’université de Buea (sud-ouest), qui s’étaient déjà démarqués du SCNC à la
fin des années 1990. Quand les militants du SCNC plaidaient « la force de
l’argument », ceux du mouvement de Cho et Akwanga parlaient de « l’argument de
la force ».
Depuis cette époque, les deux
hommes militent – en exil – pour la lutte armée contre Yaoundé. Aujourd’hui,
Cho Ayaba est leader des Ambazonia Defense Forces (ADF), et Akwanga dirige le
Southern Cameroons Defence Forces (Socadef). Ces deux groupes revendiquent de
nombreuses attaques en régions anglophones depuis le début de la mutation de la
crise en conflit de basse intensité, fin 2017.
Lucas Cho Ayaba revendique des milliers de
combattants, quand les observateurs n’en décomptent qu’une centaine
« Nous avons une stratégie de
défense par blocs : chaque village, chaque groupe de jeunes peut se lever pour
l’Ambazonie, et nous serons prêts à les aider », affirme Lucas Cho Ayaba, qui
revendique « des milliers de combattants », quand les observateurs avisés de la
crise n’en décomptent qu’une centaine.
Tentative d’union
En plus des groupes armés de Cho
et d’Akwanga, plusieurs autres revendiquent une identité propre, sans qu’il
soit possible de déterminer leur impact sur le terrain : le SCDF (Southern
Cameroons Defence Forces, homonyme du Socadef), les Tigers of Ambazonia, les
Vipers, l’Ambazonia Restoration Army (ARA), les Ambaland Forces…
Les différentes sphères
séparatistes ont bien tenté de s’unifier en 2017, au cours d’au moins quatre «
conclaves » réunissant au Nigeria toutes les ailes de l’indépendantisme
anglophone, selon différents leaders séparatistes. Mais, chacun y revendiquant
un leadership populaire propre, aucune réunification n’a eu lieu.
À la place, le « gouvernement »
du Scacuf et la nébuleuse autour de l’ARCC s’écharpent quotidiennement sur les
réseaux sociaux. La mobilisation sur Internet, depuis l’étranger, est
aujourd’hui le principal catalyseur des séparatistes, qui inondent les réseaux
sociaux de communiqués et autres vidéos d’exactions supposées de forces de
sécurité camerounaises.
Entre 15 000 et 30 000 réfugiés au Nigeria
À Yaoundé, le gouvernement réfute
ces accusations et considère les séparatistes comme un tout. Il les qualifie de
« terroristes » et estime que leurs aspirations séparatistes ont pris en otage
les populations anglophones. De fait, en raison des difficultés à aller sur le
terrain, aucune confirmation du poids réel d’un groupe ou de l’autre n’est
aujourd’hui possible de source indépendante.
Les attaques se poursuivent à un
rythme quasi quotidien en régions anglophones, les morts se comptant par
dizaines et les populations qui fuient au Nigeria voisin par milliers. Il
serait plus de 30 000 en ce moment, selon l’agence nigériane de gestion et de
management des urgences (Sema). Le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU
avance de son côté le chiffre de 15 000 réfugiés.
Source : @jeuneafrique
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