Ah, sans doute dira-t-on, ils sont encore jeunes, ces membres de l’ADDEC qui nous montrent ce que veut dire être citoyen aujourd’hui ! Sans doute dira une ou deux personnes de ces leaders assagis de la société civile camerounaise d’aujourd’hui, qu’elles aussi avaient cet entrain quand jeune !
Et pourtant, c’est moins dans les actions courageuses ou spectaculaires, méthodiques ou improvisées que les membres de l’ADDEC nous montrent l’exemple ; c’est plutôt dans la passerelle qu’ils établissent et ne cessent d’établir entre l’action syndicale et la politique. Car c’est bien dans l’établissement de cette passerelle-là que réside le futur de la citoyenneté dans notre pays – dans la repolitisation de la société civile.
L’investissement carrément physique des membres de l’ADDEC dans l’affaire Vanessa Tchatchou, l’inscription unique vraiment, de leur signature dans l’affaire Enoh Meyomesse, la constitution d’un très vite condamné collectif ‘Sauvons l’université de Yaoundé II !’ qui aboutit sur l’éviction spectaculaire de trois recteurs d’universités, voilà sans doute ce qui restera dans l’esprit pour cette année. Ce qui ne sera pas dit cependant, est que ces jeunes l’ont fait sans qu’il y ait de cadavres sur le plancher !
Dire que ces quelques actions créent bien des grincements de dents, c’est souligner au fond une lapalissade – l’assemblée générale de cette association estudiantine n’a-t-elle pas été condamnée à avoir lieu dans le maquis, parce qu’autorisée et puis déguerpie par la police ? Dire qu’elles réveillent sans doute l’envie, la nostalgie, et oui, la jalousie de bien de personnes, c’est relever que tout cela est bien une histoire camerounaise. Et pourtant jamais chemin de la libération du peuple camerounais n’a été aussi clairement montré à un pays qui sait, à des ainés qui savent, à une scène publique qui est passée par là.
Car la dépolitisation des syndicats aura été l’avenue de la dictature chez nous. Autant l’écrasement de la rébellion en 1971 aura rendu les Camerounais silencieux par un coup de violence, autant la lente mais systématique dépolitisation de toute la scène publique aura fabriqué à la tyrannie le lit dans lequel elle se couche depuis et s’endort. Dans quel pays sinon le président peut aller pendant la moitié de l’année en vacances en Suisse, sans que le peuple ne gronde ? C’est que le peuple camerounais est autant pris en otage par le tyran et sa clique, qu’il est démobilisé par des syndicats qui ont abandonné dans la poubelle, le fondement même de leur existence : bâtir continuellement la passerelle qui permet aux corporations de rendre un service à la démocratie.
‘Laissez la politique aux politiciens’, tel est le mot d’ordre qui résume cette dépolitisation des corporations : ainsi les écrivains ne doivent-ils qu’écrire, et jamais le syndicat des écrivains (en existe-t-il un d’ailleurs ?), n’a le droit d’émettre un avis public, à moins que ce ne soit pour féliciter le tyran. Ainsi les chanteurs ne doivent que chanter ; ainsi les milliers d’associations des consommateurs ne doivent que chacun se battre, qui contre la vie chère, qui contre l’augmentation du tarif de l’électricité, qui contre la levée des taxes, sans cependant jamais établir un lien de causalité entre ces milles choses vicieuses qui rendent notre vie impossible, et la manière de faire la politique qui les a créées.
Et pourtant les années 1990 qui ont vu une recomposition de la scène publique camerounaise auraient été impensables sans la repolitisation des syndicats, des corporations : et ici avant tout, celle des avocats, avec Maitre Yondo Black, le sulfureux bâtonnier à qui le futur de notre pays saura sans doute dire merci, mille merci une fois, de nous avoir arrachés de chaines millénaires ! Or regardons partout en Afrique ces derniers jours : et au Togo, c’est avec l’avocat politisé Zeus Ajavon que le collectif ‘Sauvons le Togo !’ aura réveillé enfin ce pays qui depuis bientôt cinq décennies – comme nous ! – ploie sous la tyrannie. Et au Nigeria, en 2010, c’est avec Femi Falana, lui aussi avocat politisé, que le collectif ‘Sauvons le Nigeria !’ aura bataillé contre la réduction des subventions pétrolières au commun.
Identique chez nos amis sénégalais où Alioune Tine aura fait de la défense des droits humains, le cheval de bataille d’une politique de changement. Il faut toujours franchir le rubicon politique. Toujours. Le Cameroun n’est pas une exception à la marche de l’histoire – c’est cette leçon simple de civilité que les jeunes de l’ADDEC nous enseignent tous les jours. Les professeurs de notre société civile camerounaise, ce sont nos cadets-là. Et pour cause : plus que nos ainés, ils ne sont pas nés indigènes et mourront citoyens.
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