Les femmes de militaires sont-elles en train de devenir un baromètre de la situation politique au Mali? En février déjà, une manifestation avait tourné à l’émeute…
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Les épouses des soldats emprisonnés depuis la tentative de contre-coup d’Etat du 30 avril 2012 n’en peuvent plus.
Voilà trois mois que certaines sont sans nouvelles de leurs
maris et que le flou persiste sur le sort de 21 à 22 soldats qui manquent à
l’appel et pourraient avoir été exécutés.
Trois mois que les soldes des prisonniers n’ont pas été
versées, et que leurs familles ont du mal à joindre les deux bouts.
Le 1er février 2012 déjà, d’autres femmes de soldats avaient
manifesté, plongeant les grandes villes du pays dans des émeutes. Pillages,
agressions… Une chasse aux Touaregs s’était déclarée, contre une communauté
perçue en bloc comme les rebelles auxquels le massacre d’Aguelhok était imputé.
Des femmes aussi téméraires que leurs époux
A l’époque, c’étaient les femmes de 70 soldats exécutés le
24 janvier sur leur base éloignée du Nord, à Aguelhok, qui demandaient des
comptes. Leurs maris avaient été froidement abattus, certains égorgés et
éventrés, sans munitions pour se défendre ni renforts pour les aider.
Le pouvoir, lui, minimisait le drame —un crime de guerre
imputé aux islamistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
Signe avant-coureur du délitement de l’Etat malien: ces
femmes de soldats avaient forcé les portes du palais présidentiel de Koulouba
et invectivé le président Amadou Toumani Touré (ATT).
Cinq mois plus tard, ce sont 300 femmes de militaires qui
sont descendues dans la rue, le 16 juillet 2012 à Bamako. Foulards rouges noués
autour de la tête, elles défendent les droits de leurs maris, des Bérets
rouges, membres de l’ancienne garde présidentielle.
Certains, loyalistes à l’égard du régime déchu d’ATT,
avaient fait une tentative de contre-coup d’Etat le 30 avril, pour renverser la
junte des putschistes du 22 mars.
Ils avaient cherché à prendre le contrôle de l’aéroport de
Bamako, de la télévision nationale et du camp militaire de Kati. Les combats
s’étaient soldés par un échec des Bérets rouges et une vague d’arrestations.
Une centaine de militaires —47 au moins selon le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR)— ont été mis au cachot dans le camp militaire de Kati,
à 15 km de Bamako, la capitale. Aucun chef d’inculpation n’a été délivré contre
eux pendant plusieurs semaines. Ils n’avaient pas non plus le droit de recevoir
de visites.
Certains ont été mis au régime d’isolement, confinés dans le
noir 24 heures sur 24. Les moins gradés auraient été torturés et entassés dans
des cellules où la température avoisinait les 45 degrés.
Que sont devenus les officiers disparus?
Parmi les officiers arrêtés figurent notamment les
commandants Malamine Konaré, le fils de l’ancien président Alpha Oumar Konaré
(1992-2002), ancien membre de la cellule anti-terroriste à la sécurité d’Etat,
et Hamidou Sissoko, ancien chef d’état-major du président ATT.
Leurs avocats ont dénoncé le 13 juin dans une lettre au
ministère de la Justice les traitements inhumains subis par les prisonniers de
Kati.
Finalement, les bérets verts de la junte d’Amadou Sanogo ont
accepté de transférer les détenus, à partir du 23 juin, au camp de la
gendarmerie de Bamako.
Des chefs d’inculpation pour «atteinte à la sûreté de
l’Etat» ont commencé à être délivrés. Les conditions des détenus sont
meilleures, mais les droits de visite limités.
Selon le frère d’un officier qui a témoigné pour Slate
Afrique, ces droits de visite pouvaient d’abord s’exercer tous les jours au
camp de la gendarmerie, puis seulement deux fois par semaine. La raison?
«Certains des
détenus ont commencé à parler, pour expliquer que 21 à 22 personnes sont
portées disparues et ont sans doute été victimes d’exécutions sommaires dans
les heures qui ont suivi leur arrestation.»
Dès que l’information a été publiée par la presse malienne,
la junte d’Amadou Sanogo a posé d’autres restrictions, n’autorisant plus qu’une
seule visite par semaine —décision unilatérale prise sans même en informer le
procureur.
Peu de chances de libération
Après une négociation serrée entre les avocats, la junte et
les autorités judiciaires, il a été convenu que les détenus puissent recevoir
autant de personnes qu’ils le souhaitent, les jeudis et dimanches, entre 9
heures et 15 heures.
Seul problème:
selon notre témoin, «des hommes en uniforme fouillent les visiteurs, et des
femmes sont fouillées par des hommes, ce qu’elles vivent comme une profonde
humiliation.»
Les détenus, physiquement épuisés, n’ont pas le moral. L’un
d’entre eux, qui a perdu sa fillette de trois ans, n’a pas eu le droit de se
rendre à l’enterrement.
Malgré l’intervention des chefs religieux et de diplomates
en leur faveur, leur sort reste incertain dans la configuration actuelle du
pouvoir à Bamako.
Cheick Modibo Diarra paraît toujours soumis aux ordres de la
junte, et sa feuille de route, élaborée sans consultation politique, ne lève
aucune incertitude.
Certains des Bérets rouges ont d’autant moins le moral
qu’ils n’ont rien à voir dans la tentative de contre-coup qu’on leur reproche,
et que leur avocat leur a remis un chapelet en les invitant à prier.
Si la junte des Bérets verts d’Amadou Sanogo les libère,
elle redoute de les voir parler dans les médias, ou même de vouloir se venger.
«Ce qui n’est pas
certain, estime le frère d’un officier incarcéré. Les officiers supérieurs sont
peinés de voir le pays tomber ainsi en lambeaux.»
Jamais sans nos maris
A l’annonce de la libération de trois otages européens, deux
Espagnols et une Italienne détenus par les islamistes du Mujao (Mouvement
unicité et djihad en Afrique de l'ouest), le 18 juillet 2012, certains ont
regretté l’intervention du Burkina Faso comme médiateur, y voyant la faillite
des services de renseignement du Mali.
Malgré les pressions exercées par les avocats sur le pouvoir
civil de transition, les arrestations continuent: le 11 juillet 2012, c’était
au tour du colonel Abidine Guindo, ancien aide de camp d’ATT, d’être arrêté.
«Libérez les
militaires arrêtés! Rendez-nous les morts! Occupez-vous du Nord!»
Tels sont les slogans des femmes de militaires, qui
soulignent l’inertie des nouvelles autorités maliennes face à la situation
catastrophique qui prévaut dans les trois régions nord du Mali.
Elles sont retournées dans la rue le 18 juillet, pour se
rendre aux portes de l’Assemblée nationale. Là, elles ont menacé de défiler
nues pendant le mois de ramadan, qui s’est ouvert le 20 juillet.
De leur côté, les femmes des Bérets verts menacent aussi de
descendre dans la rue et de crêper le chignon des femmes à foulards rouges. Si
on la prend pour baromètre, cette colère des femmes de militaires ne laisse
rien présager de bon pour le Mali.
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