La nouvelle présidente de la Commission de l’Union africaine a la poigne et l’expérience requises pour ses nouvelles fonctions. Mais sauvera-t-elle l’UA de ses démons? Il est permis d’en douter, quand on passe au crible son bilan.
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Ce dernier l’avait, en effet, poussée en vue de sa
succession, après avoir limogé en 2005 Jacob Zuma, poursuivi pour corruption,
de la vice-présidence de la République.
Thabo Mbeki, retors, ne s’y serait pas pris autrement s’il
avait voulu humilier son rival: il avait aussitôt proposé à Nkosazana
Dlamini-Zuma de prendre la place de son ex. Alors ministre des Affaires
étrangères, elle avait décliné l’offre, après avoir consulté ses enfants
—quatre des vingt descendants directs que l’on connaît à Jacob Zuma.
Jacob Zuma, alors en pleine ascension, avait ensuite
mobilisé une partie de l’ANC contre Mbeki, finalement évincé de la présidence
du parti, lors d’une conférence du Congrès national africain (ANC), fin 2008, à
Polokwane.
Lors de la même conférence, la très peu populaire Nkosazana
Dlamini-Zuma avait payé pour son appartenance au camp Mbeki et ses ambitions de
présidentiable.
Alors qu’elle briguait la vice-présidence du parti,
potentiel tremplin pour se hisser un jour à la présidence, elle n’avait été
réélue par la base qu’à la 35e position (au lieu de la 3e en 2002), au sein des
instances exécutives nationales du parti.
Une étroite complicité avec son ex-mari
Malgré toutes ces péripéties, Nkosazana Dlamini-Zuma a
toujours gardé de bonnes relations avec son ancien mari, zoulou comme elle.
Elle a été sa seconde femme en 1982, dans le cadre d’un mariage polygamique.
Après un divorce prononcé en 1997, elle a conservé le
patronyme de son ex, comme Winnie Madikizela-Mandela, la seule femme plus
puissante qu’elle en Afrique du Sud. Elle a aussi été de tous les gouvernements
de l’ANC, depuis 1994, y compris dans celui de son ex-mari.
Cette bonne entente pourrait relever d’une question de pure
politique. Nkosazana a partagé de lourds secrets avec Jacob Zuma, responsable
des renseignements de l’ANC, pendant leurs quinze années de vie commune.
Par ailleurs, cette «dame de fer» n’a pas vraiment dépendu
de lui pour s’imposer dans les structures du parti.
Plus qualifiée que lui, qui n’a pas terminé l’école
primaire, elle a décroché en 1985 un diplôme de médecine spécialisée en
maladies tropicales infantiles.
Une apparatchik de l'ANC
Elle a aussi été l’une des responsables du Congrès des
étudiants sud-africains (Cosas), un syndicat noir très actif dans la lutte
contre l’apartheid, qui militait notamment pour que les jeunes noirs aient le
droit de faire des études de médecine.
Dès 1992, elle a participé sur les questions de «genre et
d’équité» aux négociations constitutionnelles entre l’ANC et le Parti national
(NP) de Frederik de Klerk, le dernier président de l’apartheid.
Elle a d’abord été ministre de la Santé sous Nelson Mandela
(1994-1999). Une nomination qui l’a surprise, alors qu’elle se préparait à
l’époque à un destin plus modeste de ministre de la Santé dans sa province du
Kwazulu-Natal.
A ce poste gouvernemental, elle a fait interdire les
publicités pour le tabac dans les lieux publics. Elle s’est aussi distinguée
par son autoritarisme, se mettant à dos les personnels de santé et l’industrie
pharmaceutique, non consultés sur certains projets de loi.
Elle a œuvré en faveur des pauvres, avec des soins gratuits
pour les moins de 6 ans —une mesure souhaitée par Nelson Mandela— et
l’importation de médicaments génériques moins chers.
Sans pour autant réussir à réformer en profondeur le système
de santé, qui s’est délité à vive allure, dès les premières années de pouvoir
de l’ANC, les hôpitaux publics manquant de tout —infirmiers, lits, seringues.
Des bilans ministériels en demi-teinte
Un scandale a marqué son passage à la Santé, avec la
commande par son ministère d’une comédie musicale à l’acteur zoulou Bongeni
Nguema, auteur de Sarafina!, visant à lutter contre le sida.
Prix du spectacle, payé par le contribuable mais jamais
monté: 14,5 millions de rands (environ 1,45 million d’euros). Très sensible à
la critique, Dlamini-Zuma a souvent paru sur la défensive, prête à limoger
quiconque élevait la voix autour d’elle plutôt que d’admettre ses erreurs.
Mais elle ne s’est pas autant discréditée au ministère de la
Santé que celle qui lui a succédé, Manto Tshabalala-Msimang, surnommée «madame
betterave», pour avoir conseillé aux malades du sida une cure de gingembre,
d’ail et de betteraves, se refusant à distribuer des antirétroviraux à grande
échelle.
Au contraire: Nkosazana Dlamini-Zuma, à son nouveau poste
des Affaires étrangères (1999-2009), a été l’une des rares, dans l’entourage de
Mbeki, à lui dire en face que ses positions sur le sida minaient l’image de
l’Afrique du Sud à l’étranger.
Aux Affaires étrangères, elle a confirmé sa réputation de
ministre usant le plus de directeurs généraux et prenant le plus de décisions
unilatérales —sans perdre de vue ses propres intérêts.
Lors de l’éviction de Thabo Mbeki de l’ANC, en septembre
2008, elle a d’abord déclaré son intention de démissionner en même temps que
dix ministres prêts à se montrer solidaires avec le président. Mais elle n’en a
rien fait, s’arrangeant pour conserver son poste dans le gouvernement
intérimaire mené par Kgalema Motlanthe, jusqu’aux élections de 2009.
A son actif, aux Affaires étrangères, figure la négociation
d’un accord de paix en RDC —signé à Sun City en 2002— et la nomination de
nombreuses femmes à des postes d’ambassadeur. Et c’est à peu près tout.
Certains des 30.500 hommes de l’armée sud-africaine ont été
déployés dans le cadre de l’Union africaine (UA) au Burundi et en RDC, mais
aucun ne participe à l’importante mission de l’Union africaine déployée en
Somalie (Amisom).
Ses prochains défis à la Commission africaine
Adepte de la «diplomatie tranquille» de Thabo Mbeki au
Zimbabwe, l’inertie de Dlamini-Zuma sur ce dossier a coûté aux Zimbabwéens le
maintien au pouvoir d’un dictateur contesté jusque dans les rangs de l’ANC, mais
aussi à l’Afrique du Sud un afflux permanent de millions de réfugiés
zimbawéens.
Après l’accession de Jacob Zuma à la présidence en 2009, la
voilà nommée au ministère de l’Intérieur et chargée de remettre de l’ordre dans
l’une des administrations les plus inefficaces et corrompues du pays.
Un poste qu’elle va quitter sans avoir obtenu de résultats
mirobolants, pour la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA).
Elle a été poussée dans son nouveau job par Jacob Zuma,
soucieux de gagner en pouvoir sur le continent et dans le système des Nations
unies, mais aussi d’éloigner son ex-femme, qui pourrait lui faire de l’ombre
alors qu’il va briguer un second mandat en vue des élections de 2014.
Elle-même n’a pas affiché de grand enthousiasme au début de
la campagne menée en sa faveur pour l’UA. Elle a surtout parlé de
«développement» ces derniers mois, évitant d’aborder les vraies questions de
l’UA d’après Kadhafi: crise de leadership, caisses vides, évolution des
relations avec l’Occident et l’Orient, à commencer par la Chine.
La Chine est un pays «ami» de l’Afrique du Sud, où Pékin a
réalisé ses plus gros investissements au sud du Sahara (5,5 milliards de
dollars déboursés par la Banque industrielle et commerciale de Chine pour
acheter en octobre 2007 une part de 20% de la Standard Bank sud-africaine).
La Chine figure aussi avec l’Afrique du Sud au sein du
groupe Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (Brics), des pays
émergents qui revendiquent une réforme des institutions internationales.
Mali, RDC, Soudan… Les dossiers brûlants ne manquent pas
pour les débuts de Nkosazana Dlamini-Zuma à Addis-Abeba.
A 63 ans, elle a certes l’expérience et la poigne que
nécessite son nouveau poste. Mais il faut espérer qu’elle sache ne pas écouter
son ex-mari, pas très doué pour la politique étrangère.
Pour mémoire, Jacob Zuma avait d’abord sympathisé avec
Laurent Gbagbo, lors de la crise post-électorale ivoirienne. Puis, il a fait
volte-face, en raison de contrats nucléaires civils passés avec la France.
De même, sur la Libye, Pretoria avait d’abord voté pour la
résolution de l’ONU donnant les coudées franches à une intervention étrangère,
puis s’était opposée aux frappes de l’OTAN.
Nkosazana Dlamini-Zuma pourrait aussi jouer comme un énième
facteur de division dans une Union passablement désunie et désargentée.
L’Afrique du Sud, grande puissance économique et anglophone,
ravit pour la première fois un poste traditionnellement octroyé à un petit pays
francophone, pour ne pas faire de jaloux chez les plus grands contributeurs à
l’UA (Nigeria, Afrique du Sud et Kenya, notamment).
Ce faisant, l’Afrique du Sud n’a pas jugé utile de discuter
de sa propre transgression d’une des règles non-écrites de l’UA, en poussant sa
candidate, vaille que vaille, à la succession du Gabonais Jean Ping.
D’autre part, la plus grande transparence ne règne pas, loin
s’en faut, sur les arguments et les méthodes qui ont valu à Dlamini-Zuma le
soutien de pays d’Afrique centrale et occidentale, au delà de ses alliés
traditionnels d’Afrique australe.
Un changement d'époque dans la diplomatie africaine
Le politologue sud-africain William Gumede qualifie
Dlamini-Zuma de personnalité «dure» et rappelle qu’elle incarne, à elle seule,
tout un changement d’époque dans la diplomatie africaine.
Car elle a été, on l’oublie parfois, la première femme
ministre des Affaires étrangères, avant la Rwandaise Louise Mushikiwabo, nommée
en 2009. Un autre analyste sud-africain, Richard Calland, écrivait de
l’ex-femme de Zuma dans son ouvrage Anatomy of South Africa: Who Holds Power?
(Zebra, 2006, Johannesburg):
«Elle est dotée
d’une abondante intelligence, mais se montre à peu près aussi diplomate que le
proverbial éléphant dans un magasin de porcelaine.»
En janvier, lors d’un premier vote qui avait privé le
Gabonais Jean Ping d’une reconduction sans histoires à la présidence de la
commission de l’UA, elle n’avait pas hésité à danser de joie avec sa délégation
—un trait de la culture politique de l’ANC qui avait passé pour de l’arrogance,
choquant le reste de l’assemblée panafricaine.
Slateafrique.com : Sabine Cessou
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