Dans l`histoire du Cameroun indépendant, les Camerounais ont fait l`expérience de deux référendums constitutionnels dont l`un, celui du 20 mai 1972, est devenu populaire du fait qu`il consacra, d`après le discours officiel, la réunification du Cameroun anglophone et du Cameroun francophone.
Ces questions sont d’autant plus incontournables dans la
compréhension de la réalité camerounaise que leurs réponses permettent de
saisir les raisons pour lesquelles les Camerounais ─ non seulement les
Anglophones et les Francophones, mais aussi les différentes entités ethniques ─
ne se sont pas encore constitués comme «Peuple» et se sentent divisés malgré
l’organisation des fêtes nationales dites de l’unité.
En effet, bien que le discours officiel fît du concept de la
réunification la matrice de ce référendum du 20 mai 1972, l’objectif caché
n’avait jamais été de consacrer la naissance d’un peuple uni, fort et debout,
mais au contraire, d’étouffer toute velléité révolutionnaire du côté anglophone
dès lors que l’UPC avait fait montre de ses capacités organisationnelles et
militaires dans les régions Bassa et Bamiléké. Le pouvoir néocolonial dirigé
par Ahidjo craignait qu`un jour le Cameroun anglophone ne s`inspire du
mouvement upéciste pour exiger lui aussi l`indépendance réelle. En mettant fin
à la fédération à travers le référendum et en intégrant le Cameroun anglophone
dans l`État unitaire, le pouvoir s`était donné les moyens constitutionnels pour
écraser manu militari tout éventuel soulèvement populaire du côté des régions
du nord-ouest et du sud-ouest.
C`est l`ombre de l’UPC qui suscita donc la réflexion autour
de cette question référendaire dite de la réunification. Car le mouvement
upéciste représentait l’unique structure qui répondait aux vraies aspirations
des populations camerounaises. C’est dans l’UPC que la personnalité du Peuple
avait pris corps, s’était construite et s’était affirmée. En détruisant ce
parti par la force des armes, le pouvoir dominant en avait tué l’essence et le
génie. Au lieu de l’accompagner dans sa marche vers ses aspirations légitimes
d’indépendance réelle, de liberté et de bien-être, le pouvoir avait choisi de
satisfaire ses propres desseins. Ce référendum ne peut donc être considéré
comme celui du Peuple, puisqu`il n`était pas l`expression de la volonté
populaire, mais plutôt la manifestation tangible de la volonté du pouvoir . À
ce titre, il était contradictoire par la sollicitation des voix des
populations, illégitime par son contexte de terreur.
Il existe, dans l’histoire du Cameroun, quatre grands
moments de prise de conscience populaire en tant que Nation, quatre grands moments
de l’affirmation des populations camerounaises comme Peuple, tous réprimés dans
le sang par le pouvoir dominant au travers des techniques de division et de
trahison pour le contraindre au sommeil permanent:
a) En 1914, Rudolph Douala Manga Bell et son secrétaire
Adolf Ngosso Din mobilisèrent toutes les populations du Cameroun du nord au sud
et de l’est à l’ouest pour s’opposer à l’occupation allemande et à la
ségrégation raciale dans la ville de Douala. Pour les contrer, le pouvoir
allemand dominant accentua les divisions ethniques et dressa chefs
traditionnels et sultans contre eux, ce qui conduisit à la trahison dont la
conséquence fut leur arrestation et leur pendaison le 08 août 1914. Les
populations camerounaises venaient de rater leur première occasion historique
d’affirmer leur existence et leur unité en tant que «Peuple».
b) En 1952-1971, Um Nyobe, Félix Moumié, Abel Kingué, Osendé
Afana et Ernest Ouandié réussirent à faire prendre aux populations
camerounaises conscience de leur existence et de leur unité en tant que
«Peuple» et de leur statut en tant que Nation. Le système néocolonial dominant
utilisa les mêmes techniques de division et de trahison en instaurant un
pouvoir politique dirigé par Ahidjo qui s’occupa de les éliminer les uns après les
autres jusqu’en 1971. Le référendum de 1972, organisé au lendemain de la mort
du dernier des héros (Ernest Ouandié) le 15 janvier 1971, revêtit alors un
caractère festif aux yeux du pouvoir. Or, avec la mort de Ouandié, c’est le
«Peuple» qui mourait définitivement, ce sont ses aspirations qui étaient
enterrées. Le 20 mai n`aurait donc jamais dû être considéré comme jour de fête
d`un peuple devenu inexistant parce que mort, mais plutôt comme la célébration
de ses funérailles.
c) En 1990-1992, le Peuple renaquit, retrouva une nouvelle
vitalité et se leva sous la bannière de la Dynamique pour le changement. Il
réaffirma, comme en 1914, comme en 1952-1971 sa volonté de déterminer la
direction de son propre destin. C`est donc en connaissance de cause que cette Dynamique
choisit pour chant de ralliement le slogan «Power To the people» (le pouvoir au
peuple). Mais utilisant les leviers de la division et de la trahison, le
pouvoir en place réussit à tordre le cou à la volonté populaire et à faire
passer la sienne propre. Le Peuple rata sa troisième occasion historique
d’affirmer son existence et son unité.
d) En 2008, les émeutes de la faim éclatèrent et les
Camerounais se levèrent de nouveau. Le pouvoir en place utilisa les mêmes
techniques de division et de trahison en montant une partie de la population
pour créer la fameuse ceinture de sécurité autour de la capitale. Le Peuple
rata la quatrième occasion d’affirmer sont existence et son unité.
Ces quatre repères historiques montrent que le Cameroun en
tant que Peuple n`a jamais pu exister. Et si les Camerounais se sentent
divisés, c’est parce qu’ils ont toujours vécu l’expérience de la division de la
part des systèmes dominants et des régimes qui les ont gouvernés. Si le Peuple
camerounais avait existé, s`il était arrivé au stade de l’unité et de la prise
de conscience de ce qu`il est réellement, c`est-à-dire au stade d`une
personnalité libre qui décide lui-même de son destin et dicte aux représentants
qu`il choisit la marche à suivre, alors on en aurait conclu à l`existence d`une
Nation camerounaise et on aurait choisi une date qui sied le mieux à la
célébration d’une fête nationale.
En optant pour la dénomination de l’«Union des Populations
du Cameroun», l’UPC indiquait que le Cameroun n’était composé que de
populations éparpillées çà et là, et se donnait pour mission de les unir pour
en faire un Peuple. La réalité n’a pas changé aujourd’hui. Or, tant que ces
populations ne seront pas arrivées au stade de «Y en a marre» pour s`unir
définitivement, le Peuple ne se constituera pas non plus dans le futur. Dans le
cas du Sénégal d`Abdoulaye Wade, quand la population s’est levée dans sa
totalité comme un Peuple et s’est mise dans la rue, les partis politiques,
toutes tendances confondues, l’ont suivie et se sont placés devant elle pour la
conduire dans la direction qu`elle avait choisie. Il était alors devenu
difficile pour l`armée de tirer. En ne tirant pas, les forces armées
sénégalaises ont gagné leur statut d`armée nationale. Là-bas, on a vu un Peuple
se lever, une Nation s`affirmer et Abdoulaye Wade partir, pour le bonheur et le
progrès du Sénégal. Pour y arriver, il a fallu que tous les hommes politiques
mettent de côté leurs egos surdimensionnés, que tous les acteurs de la société
civile se joignent aux masses populaires qui, elles, ont mis de côté leurs
élans villageois et tribaux pour ne penser que l`avenir de la Nation
sénégalaise. Par-dessus tout, il a fallu que tous les écrivains, les penseurs,
les chanteurs et les syndicats se joignent à cet idéal national.
Le Cameroun pourra-t-il un jour relever ce défi? À une
condition. En effet, les stratégies de division qui les ont jusqu’ici empêché à
se constituer comme un Peuple peuvent être fragilisées voire anéanties par la
construction des ponts entre diverses communautés. Construire ces ponts, c`est
assurer l`éducation et la santé à tous et non à certains, c`est industrialiser
le pays et procurer la sécurité professionnelle à tous et non à certains, c`est
se doter les lois justes et modernes pour gouverner dans un esprit national
voire nationaliste et non tribal, c`est créer des autoroutes pour relier les
capitales provinciales entre elles afin de favoriser l`interconnexion des
personnes et mettre fin aux réflexes tribalistes, c`est rouvrir tous les
aéroports régionaux et départementaux du pays et s`assurer de l`effectivité et
de la régularité des vols internes, c’est renforcer l’instruction civique par
la restauration du service prémilitaire à tous les jeunes de moins de 20 ans,
c’est donner aux femmes de tous les coins du pays les mêmes chances d’accéder
aux mêmes métiers que les hommes, c’est utiliser les médias et les institutions
de l`éducation pour encourager chaque Camerounais à cesser de voir les autres à
travers le prisme déformant de la tribu et à s’approprier l’idéal national dans
son village, dans sa ville et dans sa région.
Seulement alors, le Peuple renaîtra, se lèvera, prendra
conscience de son statut et de sa force et réaffirmera une fois pour toutes son
existence. Au lieu donc de célébrer à tout prix une fête nationale qui ne
traduit pas les aspirations légitimes de ce Peuple, il est urgent et salutaire,
pour bâtir un futur moderne, que les Camerounais construisent plutôt ces ponts
pour rendre possible la véritable unité avant toute manifestation de joie. Tout
autre projet sociétal ne serait qu’une façon de plus de mettre la charrue avant
les boeufs.
Source : camerounlink
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